Bach et Telemann à Bozar

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Ce samedi 18 mai, nous avons eu la chance d’entendre deux ensembles renommés dans la salle Henry Le Boeuf, le Freiburger Barockorchester et l’ensemble belge Vox Luminis. Les deux formations collaborent régulièrement à l’occasion de concerts et d'enregistrements. Ils nous ont entre autres gratifié d’un enregistrement consacré à J.S. Bach et G.P. Telemann et un consacré au Requiem de Heinrich Ignaz Franz Biber. Pour ce concert, c’est autour de la Missa brevis en fa majeur BWV 233 de Johann Sebastian Bach et Donnerode TWV 6:3 de Georg Philipp Telemann que nous les retrouvons sous la direction de Lionel Meunier.

Composée à la suite d’un terrible tremblement de terre ayant coûté la vie à environ 60 000 personnes début novembre 1755, Donnerode, L’ode au tonnerre, est une pièce vocale et instrumentale en deux mouvements (le deuxième a été composé après le succès du premier). Les textes utilisés par le compositeur allemand ont été rassemblés par Christian Gottfried Krause et Karl Wilhelm Ramler d’après des traductions des psaumes 8 et 29 de Johann Andreas Cramer. 

Images sonores, à la jonction de l’acoustique et l’électronique

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A l’avance après la visite de l’exposition Parrathon consacrée au photographe Martin Parr à l’Abbaye de Stavelot, je découvre le quartier Thier-à-Liège, enfumé par les premiers barbecues de printemps, sonorisé par les onomatopées des basketteurs en herbe, animé par ses bistrots-du-coin et je cherche le Mom, caché en plein jour derrière la porte de garage intégrée dans la vitrine de Rio Meubles (spécialité : divan-lit et relax), mais connu du gérant du Carrefour Express un peu plus haut dans la rue (qui me renseigne aimablement alors que je lui achète un cahier d’écolier quadrillé – distrait, j’ai oublié mon carnet) et adjacent au Jacques Peltzer Jazz Club (le saxophoniste-flûtiste-pharmacien du jazz belge), salle (à taille d’homme) de création et d’apprentissage, souterraine et équipée pour le travail en résidence, l’enregistrement ou le concert – bar inclus.

Rien ne s’oppose à la nuit

Titré d’après l’œuvre qui clôture le programme du jour, Nothing Stands In The Way Of Night est le troisième concert du festival images sonores, organisé chaque année par le Centre Henri Pousseur (pionnier en matière de recherche musicale) depuis 1999 : 25 ans et 7 concerts qui explorent la création musicale mixte, acoustique et électronique, principalement à Liège et durant la première moitié de mai. C’est le guitariste François Couvreur qui est à la manœuvre pendant le premier acte, qu’il entame avec le jouissif Trash Tv Trance, de Fausto Romitelli (1963-2004), le compositeur italien mangeur de lignes de démarcation et défonceur des portes de la perception, marqué par les expériences psychédéliques des années 1960 et friand de sons distordus, saturés, sales – comme ceux que Couvreur génère lorsqu’il débranche le jack de sa guitare électrique, l’approche et l’éloigne des cordes (ou en fait un plectre à câble), le rebranche et le redébranche (sans parler de l’e-bow, des pédales d’effets et autre éponge).

L’Orgelbüchlein selon Masaaki Suzuki, à l’abbaye de Grauhof

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Masaaki Suzuki plays bach Organ Works, vol. 4 & vol. 5 … orgel-büchlein (I)… orgel-büchlein (II)… Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Préludes & Fugues en la mineur BWV 543, en ut mineur BWV 549. Orgelbüchlein, chorals BWV 599-624 // Préludes & Fugues en ré majeur BWV 532, en si mineur BWV 544, en ut majeur BWV 545. Orgelbüchlein, chorals BWV 625-644. Masaaki Suzuki, orgue Treutmann de l’abbaye St. Georg de Grauhof. Livret en anglais, allemand, français. Août 2022. SACD TT 68’00 (BIS-2541) ; TT 65’38 (BIS-2661) 

Une Cenerentola scintillante d’humour à Barcelone

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Au long du XIXème siècle et une bonne partie du XXème, Rossini était considéré comme l’auteur de thèmes brillants, joyeux et au succès facile mais pas vraiment comme un grand compositeur. Les chefs rajoutaient des couches à sa subtile orchestration pour y retrouver quelque chose qui devrait sans doute rappeler les brumeuses épaisseurs wagnériennes… Il a fallu l’apport de la Fondazione Rossini à Pesaro pour dégager, de la main d’Alberto Zedda et Philip Gosset, la vérité cachée dans les manuscrits au moyen d’éditions critiques qui ont rendu à Rossini tout son mérite : les mélodies sont toujours irrésistibles, enjouées et inoubliables, mais la manière dont il traite le mélodrame ou la comédie, avec un habile jeu d’orchestration et un traitement particulier des morceaux d’ensemble qui mettent en relief la théâtralité des livrets, a marqué le chemin de l’histoire de l’opéra. Une partie non négligeable de ces manuscrits se trouve à la bibliothèque du Conservatoire de Bruxelles : le fonds donné par Edmond Michotte qui fut le secrétaire personnel du compositeur et auteur de deux curieux opuscules, dont l’un parle du bel canto et l’autre relate la visite de Wagner à Rossini dans sa villa de Passy et leurs discussions sur le devenir de l’opéra.

Klaus Mäkelä et l’Orchestre de Paris : l’ombre de Schönberg et la lumière de Mahler

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Deux œuvres qu’il était passionnant de rapprocher étaient au programme de ce concert de l’Orchestre de Paris : La Nuit transfigurée d’Arnold Schönberg, et la Quatrième Symphonie de Gustav Mahler.

Toutes deux écrites en 1899 (en tout cas dans sa version originale pour la première, et même si la partie finale de la seconde a été commencée dès 1892), elles proviennent néanmoins de compositeurs qui ne sont pas de la même génération, aux esthétiques très différentes.

Quand il a écrit La Nuit transfigurée, Schönberg avait vingt-cinq ans, et s’il y transgresse déjà quelques règles harmoniques, cette œuvre appartient encore au romantisme finissant. Il composera encore pendant un demi-siècle, pendant lequel il va bouleverser la tonalité. Voilà donc une œuvre en quelque sorte à part dans la production de ce compositeur.

Mahler, qui s’est principalement exprimé d’une part par ses symphonies, d’autre part par ses mélodies avec orchestre, a écrit sa Quatrième Symphonie au passage de la quarantaine. Il vivra encore une dizaine d’années, qui verront naître encore cinq symphonies, mais dans un langage relativement proche. Ce que celle-ci a de particulier, toutefois, c’est sa légèreté (au moins apparente), ses références à l’enfance, la transparence de son orchestration, et sa durée moindre. En un mot : sa simplicité.

Si La Nuit transfigurée a été composée pour sextuor à cordes (deux violons, deux altos et deux violoncelles), Schönberg l’a transcrite pour orchestre à cordes en 1917 puis révisée en 1943. C’est cette dernière version qui a été jouée ici, avec un effectif pour le moins généreux : 16 premiers violons, 14 seconds violons, 12 altos, 12 violoncelles et 8 contrebasses (au passage, il faut souligner la pure beauté des solos du premier violon invité, Petteri Livonen, notamment dans ses échanges avec l’altiste David Gaillard). Pour autant, et sans gommer les effets tels que pizz arrachés ou archet sur le chevalet, Klaus Mäkelä parvient à obtenir des textures aérées, et beaucoup de souplesse de la part des musiciens. 

Nouvelle intégrale Ravel à Barcelone : un démarrage en fanfare pour Ludovic Morlot et l’OBC

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Maurice Ravel I Complete orchestral Works. Maurice Ravel (1875-1937) : Le Tombeau de Couperin (“Fugue” et “Toccata” orchestrées par Kenneth Hesketh), Ma Mère l’oye (version ballet), Pavane pour une infante défunte. Orquestra Simfònica de Barcelona i Nacional de Catalunya (OBC), direction : Ludovic Morlot. 2023. Livret en : anglais, français, catalan et espagnol. 59’11’’. LA-OBC-007.

Triomphe de la musique anglaise sous la direction d'Alain Altinoglu

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Ce vendredi soir a lieu le concert de l’Orchestre Symphonique de la Monnaie à Bozar. Cette soirée est dédiée à la musique anglaise. À la direction, nous retrouvons Alain Altinoglu, le directeur musical de la Monnaie. Le ténor Ed Lyon et le corniste Jean-Pierre Dassonville sont les deux solistes du soir. Au programme, l’Ouverture ‘The Tempest’, op.22 de Thomas Adès, la Sérénade pour ténor, cor et cordes, op.31 de Benjamin Britten et les Variations Enigma, op.36 d’Edward Elgar.

Le concert débute avec l’Ouverture ‘The Tempest’, op.22 de Thomas Adès. Tirée de son deuxième opéra composé en 2004, cette courte pièce est intense avec de nombreuses dissonances. Cette pièce, interprétée avec impétuosité, décrit à merveille une tempête et à quel point celle-ci peut s’avérer impressionnante. 

La soirée se poursuit avec la Sérénade pour ténor, cor et cordes, op.31 de Benjamin Britten. Cette œuvre est un cycle de chansons écrit en 1943 pour ténor, cor solo et orchestre à cordes. Composé pendant la Seconde Guerre mondiale à la demande du corniste Dennis Brain, il s'agit d'une mise en musique d'une sélection de six poèmes de poètes anglais sur le thème de la nuit, avec ses aspects calmes et sinistres. Ces six poèmes sont encadrés par un prologue et un épilogue interprété uniquement par le corniste sur un cor naturel. Le Prologue est interprété avec brio par Jean-Pierre Dassonville. Le premier poème, Pastoral, est à la fois contemplatif à certains moments et à la fois plus joyeux et léger à d’autres. Le cor d’harmonie, d’usage pour les six poèmes, ajoute une belle couleur. Le deuxième poème, Nocturne, se distingue par son dialogue entre les deux solistes. Dans le troisième poème, Elegy, le ténor Ed Lyon chante avec une grande expressivité. Les tenues syncopées des cordes sont agrémentées des pizzicatos des contrebasses. Ces dernières donnent un relief certain à cette partie de l’œuvre. Le quatrième poème, Dirge, débute avec un solo du ténor avant d’être rejoint au fur et à mesure par les cordes. L’entrée du cor, assez tardive dans ce mouvement, arrive au point culminant avant que le chemin inverse ne se fasse laissant le soliste terminer seul cette partie de la pièce. Le cinquième poème, Hymn, se distingue par sa légèreté grâce aux pizzicatos interprétés avec un côté pétillant. Jean-Pierre Dassonville quitte la scène pour le dernier poème, Sonnet. On retrouve le côté contemplatif du premier poème avec une certaine douceur et rondeur dans le son des cordes. Ed Lyon donne une très belle prestation avec de la musicalité et du relief. La Sérénade se clôture avec l’Épilogue où nous retrouvons Jean-Pierre Dassonville dans les coulisses avec son cor naturel. Cette dernière partie est comme une métaphore représentant la nuit s’estompant avec un son devenant de plus en plus lointain. Alain Altinoglu mène avec grande précision les cordes de l’orchestre, elles aussi très attentives aux deux solistes du soir. L’interprétation de cette œuvre est vivement applaudie par le public.

A l’OSR, une jeune cheffe prometteuse, Ana María Patiño-Osorio en compagnie de Bertrand Chamayou 

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Pour le dernier concert de la saison 2023-2024, l’Orchestre de la Suisse Romande avait invité le chef Polonais Krzystof Urbanski qui devait présenter notamment la création en public de Reflections, concerto pour piano et orchestre de Michael Jarrell avec le concours du pianiste Bertrand Chamayou. Tombé malade au cours des répétitions, le chef a dû annuler sa participation. Et compte tenu de la complexité de cette commande conjointe de l’Orchestre Philharmonique de Radio-France et de l’OSR, il a été convenu avec le compositeur que cette création serait reportée à une prochaine saison. Au pied levé, la cheffe assistante de l’Orchestre romand,  Ana María Patiño-Osorio a accepté de reprendre les rênes en substituant le Concerto pour piano et orchestre de Ravel à Reflections, tout en respectant le reste du programme.

En hors-d’œuvre bien fade est proposée d’abord l’orchestration que Claude Debussy élabora en 1897 pour deux des Gymnopédies d’Erik Satie composées neuf ans auparavant. De la version originale pour piano, Jean Cocteau disait : « La musique de Satie va toute nue ». Et l’instrumentation s’attache à la transparence de la première confinée à un dialogue du hautbois et de la flûte sur un canevas ténu de cordes alors que la troisième pare d’éloquence la cantilène des premiers violons enveloppée parle tissage étrange confectionné par la harpe et la cymbale.

Sheku et Isata Kanneh-Mason à Bozar : peuvent mieux faire

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En dépit de ce qu’une soirée des demi-finales du Concours Reine Elisabeth consacré cette année au violon se déroule au même moment à Flagey, c’est un public nombreux qui remplit la Salle Henry Le Boeuf du Palais des Beaux-Arts pour écouter le violoncelliste Sheku Kanneh-Mason, coqueluche du public et des médias britanniques, et sa soeur, à peine moins populaire, la pianiste Isata Kanneh-Mason. 

En dépit de leur célébrité insulaire qui va loin au-delà du milieu de la musique classique depuis que le violoncelliste se fit entendre au mariage du prince Harry avec Meghan Markle en 2018, les jeunes virtuoses -issus d’une fratrie de sept musiciens qui les a fait surnommer par certains « les Jackson de la musique classique »- proposent à un public plus jeune que d'ordinaire (ce qui est une très bonne chose) un programme sans concession -et sans entracte- de trois oeuvres très différentes et aux réelles exigences stylistiques et techniques.

C’est par l’Opus 102 N° 2, dernière des cinq sonates pour violoncelle et piano de Beethoven, que le duo entame son récital. Comme toujours dans les oeuvres de la troisième période de Beethoven, cette musique pose de réels problèmes aux exécutants, à commencer par cette façon de trouver le juste milieu entre la rigueur voire l’austérité de la forme et l’expression que l’on attend de la part d’interprètes qui ne peuvent faire l’économie de la réflexion dans une oeuvre de ce calibre.