Un  Américain à Paris éblouit Genève

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Pour conférer un caractère festif aux représentations de fin d’année, monnaie fort rare lors des dernières saisons, Aviel Cahn, le directeur du Grand-Théâtre de Genève, a la judicieuse idée de présenter Un Américain à Paris dans la mise en scène et la chorégraphie de Christopher Wheeldon dont la création avait eu lieu au Théâtre du Châtelet à Paris le 10 décembre 2014.

D’après le ballet rhapsodique pour orchestre que George Gershwin avait composé en 1928, Alan Jay Lerner avait élaboré en 1950 un livret qui avait constitué le scénario du célèbre film de Vincente Minnelli réunissant Gene Kelly, la toute jeune Leslie Caron, Georges Guétary et le pianiste Oscar Levant et compilant nombres d’extraits de comédies musicales du même Gershwin.  Pendant cinquante ans, dans les cartons de nombreux producteurs, dort le projet d’un véritable spectacle sur les planches. Et c’est à New York que prend forme la production de Christopher Wheeldon collaborant avec Bob Crowley pour les décors et costumes, Natasha Katz pour les lumières, Christopher Austin pour les orchestrations et Craig Lucas pour la réécriture du livret. Les représentations parisiennes de novembre et décembre 2014 remportent un triomphe qui se prolongera à Broadway dès mars 2015 pour 623 représentations qui décrocheront quatre Tony Awards. A une tournée américaine pendant deux ans succéderont des représentations à Londres, en Chine, au Japon et en Australie avant un come back à Paris en 2019.

Genève a donc le plaisir d’accueillir une partie de la troupe originelle dont le prodigieux Robbie Fairchild dans le rôle de Jerry Mulligan (que j’avais eu la chance d’applaudir à Paris le 31 décembre 2014).

Lady Macbeth du district de Mtsensk à La Scala de Milan : un opéra terrible

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Oui, ce deuxième opéra de Dmitri Chostakovitch (Le Nez  a été créé en 1930) est un opéra terrible : pour son compositeur, pour sa partition et son intrigue, pour son chef actuel à La Scala de Milan.

Terrible pour son compositeur : tout avait bien commencé pourtant pour Chostakovitch. L’opéra, inspiré d’un roman de Nikolaï Leskov, mis en livret par Alexandre Preis, est créé en janvier 1934 simultanément à Leningrad et à Moscou. C’est un triomphe : 80 représentations à Leningrad, une centaine à Moscou. « Lady Macbeth » est vite représentée aux Etats-Unis. Mais tout bascule le 26 janvier 1936 au Bolchoï à Moscou quand Staline vient la découvrir. Deux jours plus tard, dans La Pravda, un article non signé - ce qui, à l’époque, signifie qu’il vient du Kremlin – la condamne impitoyablement : « Le chaos remplace la musique » ! L’œuvre disparaît, elle vaut la disgrâce à son compositeur. Ce n’est que dix ans après la mort de Staline que Chostakovitch en propose une version édulcorée avec un autre titre :  Katerina Ismailova. Il faudra attendre les années 1980 pour que la première version soit reprise et s’impose.

(Si vous voulez en savoir davantage sur la vie compliquée de Chostakovitch aux temps staliniens, je vous recommande « Le Fracas du temps » de Julian Barnes)

Terrible pour son chef à La Scala de Milan 

Robinson Crusoé de Jacques Offenbach au TCE

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Avant de conquérir Angers, Nantes et Rennes, émotion et ovation ont pimenté cette dernière représentation de l’opéra-comique Robinson Crusoé sur la scène de l’Avenue Montaigne. Julie Fuchs est, en effet, annoncée souffrante. Elle assurera néanmoins sa prestation scénique et sera remplacée - non par sa doublure, elle aussi malade - mais par la soprano Jennifer Coursier arrivée à la gare de Lyon une heure avant le lever de rideau. « Acrobatique » dira l’un des musiciens à la sortie, c’est le moins que l’on puisse dire. Pourtant, la magie opère. La mise en scène de Laurent Pelly parfaitement rodée démontre là son efficacité comme sa pertinence. 

L’esthétique « bande dessinée », stylisée à grands traits, aux couleurs criardes (scène des anthropophages) ou grisâtres (tentes des SDF) est soutenue par des dialogues aimables et percutants. Les liens entre certains choix visuels et l’œuvre n’apparaissent pas toujours évidents : Que viennent faire Donald Trump et ses clones sur l’ île déserte ? Des tentes de sans-abris aux pieds des gratte-ciels ? Un certain sens de l’absurde - ingrédient que ne dédaignait pas le compositeur de Vert Vert – en résulte mais qui, ici, contredit la dimension biographique et poétique présente dans l’intrigue et surtout dans la musique. 

Variations faustiennes

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Grâce à la reprise du Petit Faust d’Hervé, je me suis replongé dans les adaptations musicales de ce qu’il est convenu d’appeler le mythe de Faust. Le Docteur Faust (ou Faustus) a bien existé. Il doit tout à Goethe qui, à son tour, doit beaucoup à une myriade de compositeurs, à commencer par Gounod, le plus joué, le plus célèbre. Mais Gounod n’était pas le premier : Schumann, Wagner, Berlioz et Liszt avaient traité du même sujet avant lui, chacun à sa manière. 

À l’origine, le Faust de Gounod est un opéra-comique (avec dialogues). Succès immédiat. L’œuvre est jouée partout, traduite dans plusieurs langues, et l’on voit fleurir aussitôt quantité de fantaisies et paraphrases qui font la joie des salons parisiens et le bonheur des virtuoses en tournée. Alard, Sarasate et Wieniawski pour le violon, Albert Zabel pour la harpe et Liszt pour le piano, pour ne citer qu’eux. Tous reprennent les thèmes favoris de Gounod, les tordent et les pressurent jusqu’à leur ultime quadruple croche. Succès garanti.

D’autres ont cherché à prolonger l’action des librettistes de Gounod, Jules Barbier et Michel Carré. Au début des années 1920, Albert Carré, neveu du précédent, imagine une suite à l’histoire de Faust et Marguerite. Celui qui avait été à la tête de l’Opéra-Comique lors de la création de Pelléas et Mélisande, offre au compositeur Claude Terrasse le livret d’une fantaisie lyrique. Quinze ans après, Faust et Marguerite sont mariés, un couple usé, mais elle est toujours fringante. Méphisto, déchu par Satan pour avoir échoué à posséder l’âme de Marguerite, cherche à se racheter en la poussant dans les bras d’un Siebel devenu adulte. Mais, avec l’âge, la mémoire de Méphisto n’est plus très sûre et ses formules sataniques se sont émoussées. Le tout sur un cocktail très subtil de thèmes de Gounod. Un régal.

Contrastes de fin d’année à Metz : du baroque à Mahler

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L’ensemble Café Zimmermann avec la soprano espagnole Núria Rial donnait un concert de cantates de Noël de Bach et de Telemann à l’Arsenal de Metz. 

Le programme composé également d’ouvertures de Telemann, et des extraits d’œuvres de Bach, rendait une atmosphère de foyer pieux, confortable, champêtre par moments, sans être non plus dépourvue de fantaisies, grâce aux talents des musiciens. 

La cantate de Telemann  O Jesu Christ, dein Krippelein TWV 1:1200», balançait entre l’intimité retenue et l’expression discrète d’une foi vibrante. La cantate  Der jüngste Tag wird bald sein Ziel erreichen, TWV 1:3013  corroborera cette impression d’intimité tremblante, comme un feu dans l’âtre.

La différence avec Bach, son ami Telemann, se situe sans doute là. Tout en tenant une dimension intimiste, la musique de Bach ouvre sur un univers plus large, vers dieu pour ainsi dire. Nonobstant, la technique,  Telemann fait tendre ses ouvertures, tant vers des œuvres orchestrales ou  comme des concertos pour violon. Le café Zimmermann surmonta ces difficultés avec aisance.

Outre celle de l’ensemble Zimmermann, la qualité du ce concert devait aussi être à la voix gracile mais pas fragile, translucide, et tenue de la cantatrice, qui retransmettait très bien les différents caractères des œuvres et des compositeurs. Vibrante d’émotions pieuses dans Telemann, ouverte et enflammée comme une bougie chez Bach. Le spectateur ne cessait d’être touché en l’écoutant. Il sortit du concert en souhaitant la retrouver dans des cantates entières, dans les Passions et même dans la Pénélope du Retour d’Ulysse dans sa patrie de Monteverdi ou des œuvres religieuses de Vivaldi. 

Le lendemain, la Philharmonie du Luxembourg sous la direction du chef d’orchestre britannique Robin Ticciati jouait la  Symphonie n°6 dite “tragique” de Mahler à l’Arsenal de Metz.

Le Quatuor Vanvitelli investit les sonates pour violon de Haendel

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Se in fiorito ameno prato. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Sonates en ré majeur HWV 371, ré mineur HWV 359a, la majeur HWV 361, sol mineur HWV 364a. Sonates en mi majeur HWV 373, sol mineur HWV 368 [attrib.]. Gian Andrea Guerra, violon. Nicola Brovelli, violoncelle. Mauro Pinciaroli, archiluth. Luigi Accardo, clavecin, orgue positif. Livret en anglais, français, italien. Mars 2024.  60’53’’. Arcana A578

Guillaume Coppola sur le traces du Satie amoureux 

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Le pianiste Guillaume Coppola célèbre Erik Satie, en cette année du Centenaire de sa disparition, avec un album qui nous emmène sur la piste du compositeur en amoureux. Cette proposition dénote dans le contexte éditorial et nous a donné envie de nous entretenir avec ce musicien. 

Votre album porte le  titre de  “Satie Amoureux”, pourquoi cet angle d’approche ? 

En 2023, le Centre Pompidou-Metz m’a proposé un récital Satie à l’occasion de l'exposition consacrée à Suzanne Valadon. J’ai alors réalisé que cette artiste était la seule femme que l’on connaisse dans la vie du compositeur et que peu de gens étaient au courant de cette liaison. Même si elle n’a duré que six mois, tout en étant conflictuelle, elle a laissé des marques indélébiles chez Satie, qui a continué à lui écrire des centaines de lettres sans les lui envoyer… Cette histoire m’a touché. 

Si on voit bien le lien entre la célèbre valse chantée ‘Je te veux” et l’amour, on ne perçoit pas de prime abord ce lien avec la "Sonate bureaucratique" et l’amour ? Comment avez-vous sélectionné les œuvres présentées sur disque ? 

En effet, même si la Sonatine bureaucratique raconte l’histoire d’un employé qui « aime une jolie dame » (mais « il aime aussi son porte-plume, ses manches en lustrine verte et sa calotte chinoise » — sic !), cette parodie de Clementi n’a pas vraiment de lien avec l’amour… 

En fait, j’ai voulu réaliser un portrait du compositeur un peu à sa manière, c’est-à-dire décalée, jamais là où on l’attend… Les rares pièces composées pendant et après la relation avec Valadon (Bonjour Biqui, Danses gothiques, Vexations) sont d’une grande modernité et à l’opposé du style amoureux attendu dans ce genre d’épisode biographique, alors que l’idée de l’amour est par ailleurs présente dans de nombreuses œuvres, principalement liées au café-concert, puisque Satie a été pianiste de cabaret et a accompagné des chanteuses comme Paulette Darty, surnommée « la reine de la valse lente ». Je te veux, Poudre d’or, Tendrement, La Diva de l’Empire témoignent de cet aspect. Ensuite, j’ai élargi le prisme pour aborder les différentes phases créatrices du compositeur, qui a toujours cherché à masquer sa solitude dans le mystique, l’humour, voire la provocation. 

Au-delà de ces partitions, quel lien avez-vous avec la musique de Satie. En quoi, cette musique vous touche-t-elle ?  

J’aime la musique de Satie depuis que je suis gamin. Un oncle m’avait fait découvrir le disque de Daniel Varsano que j’écoutais en boucle, puis j’ai déchiffré et joué pour moi seul les Gnossiennes et Gymnopédies qui m’envoûtaient, et déjà à cette époque j’adorais chercher des sonorités inouïes en lien avec les indications du compositeur : « Questionnez », « Ouvrez la tête », « Du bout de la pensée » … Un vrai travail poétique pour l’imaginaire d’un interprète ! 

Il y a une sensualité mêlée de pudeur chez ce compositeur, qui transparaît jusque dans ses intentions parfois extrêmes ou provocantes : son ironie est souvent un masque, comme pour se protéger.   

Le Petit Faust survolté des Frivolités Parisiennes au Théâtre de l’Athénée

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« Je me présente, je m’appelle Henry. Henry Faust ». Lui aussi voudrait bien réussir sa vie, être aimé, être beau et gagner de l’argent mais c’était sans compter sur Méphistophélès.
Dans cette version facétieuse du Faust d’Hervé mis en scène par Sol Espeche, donné actuellement au Théâtre de l’Athénée à Paris, le célèbre docteur connaîtra une lente chute aux enfers : passé de puissant et respecté présentateur de télévision, à candidat de télé-réalité ruiné, condamné à danser pour l’éternité. 

Le pacte de Faust signé avec le diable est toujours le même, que ce soit chez Berlioz, Gounod, ou ici chez Hervé. Mais la comparaison s’arrête là. Le Faust d’Hervé n’aura d’ailleurs jamais bénéficié de la même gloire que celui de ses confrères.

Hervé (1825-1892), père de l’opérette, bien moins connu que son rival Offenbach, s’est lui aussi attelé à faire revivre le Faust de Goethe, en 1869, soit 10 ans après la création de celui de Gounod. Sa version est bien plus déroutante et décapante et tourne en dérision le Faust originel.Pour Les Frivolités Parisiennes, jeune ensemble mené par le bassoniste Benjamin El Arbi et le clarinettiste Mathieu Franot et qui met en lumière le répertoire lyrique léger français du XIXe siècle, ce Faust d’Hervé est un terrain de jeu idéal. Et de jeu, il en sera question tout au long de ce spectacle. Le public du Théâtre de l’Athénée devient le spectateur d’un jeu de télévision, invité à applaudir ou à huer les candidats selon les desiderata d’un exubérant chauffeur de salle, incarné avec panache par Maxime Le Gall. Transposer l’action dans un mythique studio de télévision où vont s’alterner différentes émissions qui ont marqué l’histoire du petit écran, comme La Classe, Tournez Manège, Champs-Elysées et plus récemment Secret Story, est l’idée ingénieuse de Sol Espeche. La metteur en scène et Les Frivolités nous avaient conquis récemment avec Coup de roulis de Messager, qui nous plongeait déjà dans un univers télévisuel.

Faust, interprété brillamment par le ténor Charles Mesrine, est un célèbre présentateur lorsqu’il rencontre Méphisto (ne pas perdre son temps à dire Méphistophélès dans ce monde où tout doit aller vite selon le principal intéressé), ici jouée par la fantasque mezzo-soprano Mathilde Ortscheidt. Oui, chez Hervé le diable est une femme.