Journée Bach et Telemann à Royaumont, dans la croisée de styles ancien et moderne

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L’ancienne Abbaye de Royaumont (à 30 km au nord de Paris) est un laboratoire musical et chorégraphique et dans le même temps une pépinière de jeunes talents. La journée du 21 septembre, dans le cadre du 75e Festival de Royaumont, était consacrée à Bach et à Telemann sous le thème de rencontres fondatrices pour une évolution de l’écriture : la venue de Telemann à Paris chez le facteur de clavecin Vater en 1738 et la visite de Jean-Sébastien Bach à la cour de Prusse en 1747 où il joue sur un pianoforte Gottfried Silbermann. Pour illustrer ces rencontres, des musiciens ont joué sur la copie du clavecin Vater 1732 (réalisé par Emile Jobin, commande de la Fondation Royaumont) et la copie du pianoforte Silbermann 1749 (par Kerstin Schwarz), en présence de leurs facteurs.

Le premier concert à 15 heures, intitulé « Telemann l’ingénieux », est présenté par deux lauréats de la Fondation Royaumont, le claveciniste Artem Belogurov et la violoncelliste Octavie Dostaler-Lalonde, ainsi que les deux flûtistes Aysha Willis et David Westcombe. Ils forment l’Ensemble Les Vieux Galants, lauréat du Concours International des Frères Graun. Ils jouent des œuvres de Telemann en alternance avec celles de Carl Philipp Emmanuel et Willhelm Friedmann Bach dans différentes combinaisons d’instruments, notamment un duo de flûte sans basse. La seule sonate pour violoncelle écrite par Telemann, tirée de Der Gertreue Music-Meister (mouvements publiés séparément dans cette collection) dans l’interprétation vivifiante d’Octavie Dostaler-Lalonde est particulièrement appréciable pour la diversité sonore qu’elle offre.

À 17 heures 30, Aurélien Delage (traverso et clavecin Vater 1732), Aline Zylberajch (clavecin Goujon, collection Jean-Luc Ho), Guillaume Rebinguet (violon) et Nima Ben David (viole de Gambe) concoctent un concert didactique « L’Atelier d’Antoine Vater 1715-1759 : une rencontre franco-allemande » présenté par le facteur de clavecin Emile Jobin et Aurélien Delage. Il retrace la vie d’Antoine Vater et chacune des cinq périodes de ses activités, les musiciens jouent des pièces hautement représentatives en lien personnel et environnemental immédiat avec Vater. Par exemple, le célèbre 6e Nouveau Quatuor Parisien de Telemann reflète son amitié étroite avec Vater, ses expériences musicales dans la capitale française, mais aussi les contacts fructueux avec des musiciens du Concert spirituel lors du séjour du compositeur pendant plusieurs semaines chez le facteur en 1738 ; derrière l’ouverture des Indes Galantes de Rameau, on devine ses relations avec le facteur de clavecin Hemsch, le fermier général et amateur d’art Le Riche de La Pouplinière, l’Académie Royal de musique… La Sonate III de Louis-Gabriel Guillemain pose la question de tempérament lié, entre autres, au passage à Paris du facteur de pianoforte Stein et du compositeur Eckard. Comme l’affirme Emile Jobin : « À travers les instruments anciens, on rencontre les musiciens et compositeurs et on peut imaginer leurs caractères. » Les interprétations à deux clavecins (allemande à deux clavecins du Neuvième Ordre et Musette de Taverny du Quinzième Ordre de Couperin, ainsi que l’ouverture des Indes Galantes de Rameau) par Aurélien Delage et Aline Zylberajch sont riches en évocations pour la somptuosité des tissus sonores et la recherche de sonorité nouvelle.

Arrive enfin la « Nuit J.S. Bach à la Cour de Frédéric II de Puisse » en deux parties, d’abord « Les claviéristes de la Cour » puis « L’Offrande musicale ». Dans la première partie, Philippe Grisvard propose, sur le pianoforte Gottfried Silbermann 1749 (copie de Kerstin Schwarz), des pièces de compositeurs de ce que l’on appellera plus tard « l’école de Berlin ». Le pianofortiste a trouvé, dans la bibliothèque de Berlin, des partitions « qui ne sont même pas encore sur internet » de Carl Friedrich Christian Fasch (1736-1788), Jiri Antonin Benda (1722-1795), Friedrich Wilhelm Marpurg (1718-1795), Christoph Nichelmann (1717-1761), Johann Philipp Kirnberger (1721-1783)… qu'il ponctue de présentations pleines d’humour. L’originalité de ces compositions dues à l’esprit ouvert de leur auteurs revit grâce aux doigts alertes de Philippe Grisvard qui module plusieurs registrations (équivalent de pédales una corda et forte, le jeu de pantaléon imitant le son du tympanon ou du clavecin) pour des effets étonnamment rafraichissants. L’instrument permet, grâce à ces registrations mais aussi par la sensibilité fine de l’interprète, des changements de dynamiques qui n’étaient pas possibles au clavecin ; c’est très étonnant, d’autant plus que sa sonorité est encore proche de celui-ci. Quand Grisvard joue des figues (au nombre de quatre dans cette soirée), c’est toujours avec une extrême clarté et il réalise les enchevêtrements des sujets et leurs développements avec, à la fois, science et simplicité, ce qui procure une bouffée d’oxygène musicale.

Dans la deuxième partie, Jean-Luc Ho (en résidence de 2018 à 2020) et l’Ensemble Le Petit Trianon proposent d’abord la Sonate en ré de Carl Philipp Emanuel Bach où la densité sonore est contrebalancée par la virtuosité énergique du traverso. Puis, une version audacieuse de L’Offrande Musicale. Ho joue sur le pianoforte, excepté le « Ricercare a 6 » sur le clavecin, merveilleusement interprété ; pour les canons, les musiciens varient les tessitures de violes (ténor, basse et violone) et les instrumentations. Ce choix, notent Jean-Luc Ho et le flûtiste Olivier Riehl, « permet de réunir deux époques et met l’œuvre au centre d’un tournant important de l’histoire de la musique », d’une part la viole de gambe (Sarah van Oudenhove habile et fine aussi bien à la viole ténor qu’au violone) pour les époques inspiratrices de Bach, et d’autre part le traverso et le pianoforte pour des styles à venir. Le violon d’Amandine Solano et le violoncelle de Cyril Poulet créent les deux voix extrêmes à la sonorité étoffée, bien que la présence importante et engagée de ce dernier ait, à certains moments, tendance à jouer à la limite de l’équilibre.

Abbaye de Royaumont, le 29 septembre 2019

Crédits photographiques © Victoria Okada

Victoria Okada

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