Marek Štilec complète son intégrale des Symphonies de Fibich

par

Zdeněk Fibich (1850-1900) : Symphonie n°3 en mi mineur Op. 53 ; Ouverture de Šárka Op. 51 ; Prélude de l’Acte III de Bouře Op.40 ; Marche funèbre de Nevěsta messinská Op. 18. Orchestre Janáček de la Philharmonie d’Ostrava; direction : Marek Štilec.  2019. Livret en anglais. TT 63’21. Naxos 8.574120

Voici le cinquième disque que Marek Štilec consacre à Zdeněk Fibich chez Naxos, et qui boucle son intégrale des trois symphonies. Alors que son compatriote Dvořák était joué en Europe et aux États-Unis, les œuvres de Fibich ne conquirent pas la même notoriété internationale. Bien qu’elle soit dédiée à Hans Richter, grand maestro de l’époque, et que celui-ci se montra fort élogieux au vu de cette Symphonie n°3, il ne la présenta jamais en concert. C’est donc le compositeur lui-même qui inaugura sa partition, le 7 mars 1899 à Prague. Le premier mouvement se montre aussi dramatique qu’entêtant : la tonalité mineure, sa figuration obstinée sur un motif de quatre notes en doubles-croches, son intriguant thème principal arqué autour d’un arpège. Le matériau, quoique ténu, fertilise une large exposition de quelque cent-cinquante mesures, qui occupe presque la moitié de cet allegro inquieto aux accents héroïco-tragiques. Rien que ce mouvement est à connaître : une des productions les plus captivantes de la littérature orchestrale de la fin du XIXe siècle. Le second mouvement débute allegro con fuoco mais évolue vers un univers lyrique, comme un arioso d’opéra, tissé d’atmosphères chambristes. Le guilleret Scherzo se situe dans la tradition germanique mâtinée de quelques couleurs locales ; on notera la mignonne transition au basson. Après une introduction à la clarinette basse, le premier thème du Finale ne tient pas toutes ses promesses ; le second est plus intéressant, et l’écriture reste efficace. C’est bien toutefois dans la forme-sonate des premiers mouvements que l’imagination de Fibich s’avère patente. Sa science instrumentale, son élaboration formelle sont bien moins banales que ne l’accorde la mauvaise réputation qui éloigna sa musique des salles hors de son pays natal.

En complément de programme, quelques pages tirées des sept opéras. Le plus célèbre demeure Šárka (la cruelle amazone également illustrée par Smetana et Janáček) dont nous entendons ici l’Ouverture ; les accents guerriers (appels de cors, parades martiales) se mêlent au pathos. De La Tempête (d’après la pièce de Shakespeare), le prélude de l’acte III, pétri d’images fantaisistes dont la transparence, l’élégance rappellent que le jeune compositeur étudia un an en France. De La Fiancée de Messine (d’après Schiller), aux influences wagnériennes : la marche funèbre du dernier acte.

Peu d’alternatives discographiques pour ces extraits, exécutés avec soin par la Philharmonie d’Ostrava. Concernant la symphonie, rappelons que la démarche de Marek Štilec s’enorgueillit d’un regard philologique sur les sources (manuscrits, copies autorisées de la publication, matériel d’orchestre utilisé pour les concerts initiaux…). Face à la concurrence, certes peu prolixe pour la Symphonie (principalement Jiří Belohlávek et Gerd Albrecht), le CD ne démérite pas et tient son rang, s’exprimant par des nuances, des phrasés plus attachants que virtuoses, qui montrent combien l’idiome de l’œuvre sait encore s’infiltrer dans les pupitres de cet orchestre de Moravie-Silésie. On ne parlera pas de brio (la lecture du Finale semble même laborieuse), mais d’une confiance, une spontanéité qui peuvent se permettre de jouer sans plaidoyer, tout en restant vrai, du moins crédible.

En tant qu’intégrale du cycle, Neeme Järvi à Detroit (Chandos, 1993-1994) l’abordait avec toute la fiabilité attendue de l’orchestre nord-américain, sans que l’inspiration transcende ce professionnalisme. Le témoignage de Marek Štilec semble préférable : même si la finition n’est pas aussi lisse, on ne s’en plaindra pas. Néanmoins, quoiqu’ancienne (années 1950), la référence perdure : Karel Šejna et la Philharmonie tchèque (Supraphon), qui confère aux trois symphonies (et singulièrement la troisième, en stéréo) une éloquence, une richesse, une authenticité qu’il est difficile de surpasser ou d’imiter.

Christophe Steyne

Son : 8 – Livret : 9 – Répertoire : 8 – Interprétation : 8

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.