Le Stabat Mater de Vivaldi, en musique et en images -poignant

par

Antonio Vivaldi (1678-1741) : Stabat Mater, RV 621. Jakub Józef Orliński, contre-ténor. Capella Cracoviensis, Jan Tomasz Adamus. Robert Bachara, Agnieszka Świątkowska, violon. Jacek Dumanowski, alto. Aleksandra Buczyńska-Kusak, violoncelle. Marek Lewandowski, contrebasse. Giulio Quirici, théorbe. Livret en anglais, français, allemand ; paroles en latin et traduction trilingue. Juillet 2020. TT 18’20 (CD) + ca.22’ (DVD). Erato 0190295060701

Le chanteur polonais, vedette admirée de la galaxie baroque, nous revient dans un opus vocal de premier plan, qu’il portait en concert depuis sept années lors de l’enregistrement. Durant les sessions, il a « ressenti une forte envie d’explorer l’œuvre dans le domaine visuel », ce qui s’est traduit par la réalisation d’un court-métrage, « tentative de réinterpréter la figure symbolique de la Mater Gloriosa et d’aborder le thème de l’empathie dans une forme inhabituelle ». Dans cette fiction autour de la célèbre partition du Prete rosso, on subodore donc quelque message écologiste ? contra-cynégétique ? antispéciste ? On s’interpelle. Dans quelle mesure cet étrange objet d’art mixte reflète-t-il ou prétexte-t-il l’affliction de la Vierge pleurant son fils sur la croix ? Son imaginaire doloriste a-t-il influencé l’intense interprétation sur le CD, ou cette térébrante interprétation musicale avive-t-elle l’émotion qui sature le film ?

En l’occurrence une métaphore sur la cruauté, la souffrance, la différence, le rejet, dont au terme d’une errance qui éprouve le spectateur, on ne comprend la portée que lors de l’ultime séquence. On saisit alors la signification de la coiffe de cervidé iconographiée dans le digipack, cerclée et dont l’empaumure évoque les épines de la Sainte Couronne. Une allusion qui à son tour peut éclairer le film d’un sens nouveau. Quelles que soient les exégèses qu’on peut lui accorder, il accumule les scènes fortes et superbement esthétisées, sans autres paroles que celles du chanteur à l’œuvre dans le Stabat Mater : une poignante allégorie dont la révélation finale ne dissipe pas le malaise.

Les amateurs de sensation à fleur de peau, qui ne pâlit pas face au maniérisme d’un David Daniels & Fabio Biondi (Virgin), trouveront à s’émouvoir devant une proposition audio-visuelle aussi lacrymogène. Pathos à pleine vanne. La compétente équipe instrumentale de Cracovie épaule sans zèle ni imagination (on regrette le fin travail de l'Ensemble Matheus avec Jean-Christophe Spinosi, Naïve, juillet 2007) un soliste qui porte en bandoulière le cœur et les bonnes intentions, fût-il en embuscade derrière son timbre fumé. Dommage d’ailleurs que la prise de son épaississe et opacifie un peu les traits de la cantate, faisant écran à l’acuité tragique que les images véhiculent spontanément. Non, ce n’est pas de mauvais goût. La preuve : nous avons beaucoup aimé. En tout cas, soyons clair, la prestation de Jakub Józef Orliński prend toute sa dimension dans son rôle d’acteur. Ce sera désormais difficile de réentendre ce Stabat Mater sans que les mélodramatiques et photogéniques visions de Sebastian Pańczyk ne s’imposent à l’esprit. On n’évaluerait pas si haut cet album sans le contexte de ses troublantes images.

Son : 8,5 – Livret : 8,5 – Répertoire : 9 – Interprétation (musique & vidéo) : 9,5

Christophe Steyne

 

 

 



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