Huitième volume de l’intégrale pour clavier par Benjamin Alard : Bach… à chaussettes

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Complete Works for keyboard. Vol 8. “For Maria Barbara” - Köthen 1717-1723. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Inventions & Sinfonias BWV 772-801. Suites françaises BWV 812-817. Prélude en mi bémol majeur BWV 815a. Sonate en ré mineur BWV 964. Chaconne en ré mineur [Partita BWV 1004]. Prélude & Fugue en ré mineur BWV 539. Adagio en sol majeur BWV 968. Fantasia en sol mineur BWV 542. Prélude en ut mineur BWV 999. Pedal-Exercitium BWV 598 [attrib.]. François Couperin (1668-1733) : Préludes en ré mineur, sol mineur, si mineur, mi mineur [L'Art de toucher le clavecin]. Benjamin Alard, clavicorde Émile Jobin (2018), clavecin Joannes Couchet (c.1645) ravalé par Blanchet. Livret en français, anglais et allemand. Juin & décembre 2021. TT 53’43 + 71’38 + 78’11. Harmonia Mundi coffret 3 CDs HM 902469.71

« J'ai choisi de faire entendre pour ce nouvel opus une facette intime du monde de Bach au clavecin, au clavicorde et au clavicorde à pédalier » explique en exergue Benjamin Alard, qui poursuit sa vaste exploration chronologico-thématique dans l'œuvre pour clavier. Cette nouvelle étape nous amène dans la ville de Köthen, que le compositeur délaissa en 1720 après le décès de sa première épouse, Maria Barbara, qui constitue un autre fil rouge de ce huitième volume. Le programme s'articule autour de trois axes.

Un premier dédié à des transcriptions tirées des Sonates et Partitas pour violon (un des chefs-d'œuvre de cette période), incluant un arrangement de la célèbre Chaconne en ré mineur. Le second axe propose un pilier du Klavierbüchlein für Wilhelm Friedemann Bach : les prémices de ce qui sera rassemblé sous les Inventionen und Sinfonien BWV 772-801, et que Benjamin Alard redistribue en deux lots sur les CD 2 et 3, sans respecter l'ordre des tonalités de la gamme. Toutes ces œuvres sont abordées au clavicorde, vecteur pédagogique et domestique très prisé au siècle d’alors, dont la discographie, depuis les antiques gravures par Eta Harich-Schneider et Ralph Kirkpatrick dans les années 1950 (chez le très sérieux label Archiv Produktion), témoigne sporadiquement pour les trente Inventions et Sinfonias. Pour ce didactique cahier, on doit mentionner le tout récent et remarquable double-album d'Andras Schiff (ECM), lui-aussi sur clavicorde.

Afin d'éviter tout bruit parasite dans le jeu de cet instrument confidentiel, les facteurs Quentin Blumenroeder et Émile Jobin ont coréalisé un modèle en tirasse particulièrement silencieux et adapté aux exigences du studio. La notice précise que mieux vaut en « jouer en chaussettes afin d'éviter tout choc sur le bois » et ainsi minimiser la pollution sonore pour l’auditeur. Pour autant, et à l’instar du volume 5 déjà commenté dans nos colonnes, on doit avouer que le très haut niveau d'enregistrement de ces trois disques contrevient à l’intimisme, nécessitera d'amoindrir le volume habituel de votre amplificateur, et que même sous cette condition les captations réalisées à Provins et Antony ne brillent guère par leur finesse. Dommage car l'interprète prodigue tous ses soins pour tamiser les polyphonies et ciseler le lyrisme de ces transcriptions et exercices, avec au sommet de ce récital une Invention en la mineur qui s'épanouit avec une infinie délicatesse.

Le troisième axe propose les Suites « françaises » dont l'érudit texte de Peter Wollny resitue la genèse dans la sphère de Köthen, où quelques-unes des pièces furent écrites avant 1722. Fidèlement à son projet de transversalité, Benjamin Alard amorce ces six cycles par quatre Préludes de François Couperin, et par deux autres de Bach lui-même (BWV 999, et BWV 815a issu d'un mouture alternative de la Suite en mi bémol majeur). Ces œuvres s'illustrent sur un historique et adéquat instrument de Joannes Couchet (c.1645), ravalé par François-Étienne Blanchet vers 1720, dont on goûtera les timbres subtils dans la registration cristalline du Menuet BWV 814.

On sait que ces partitions ne sont pas techniquement les plus exigeantes du futur Cantor de Leipzig, cependant Benjamin Alard ne perd pas une occasion de les vivifier (superbe Bourrée BWV 816) et les sert avec tact et franchise, sans raideur ou sophistication, ni ces relents de deuil que Lilianna Stawarz (Dux, 2020) débusquait dans les trois Suites en mineur. Pour l'ensemble des six Suites, on n'oubliera pas les magnifiques témoignages qui arriment la discographie : le contraste virtuose de Ralph Kirkpatrick sur un très idiomatique clavecin (Archiv, 1957), la radieuse aristocratie de Gustav Leonhardt (RCA, 1975), la science de l'ornementation de Ton Koopman au château d'Hückeswagen (Calig, 1975) ou dernièrement la fluidité de Pierre Gallon (L'Encelade, 2020). Au demeurant, Benjamin Alard, par ses options organologiques et son exécution de premier ordre, continue de maintenir un vif intérêt envers son investigation intégrale et contextualisée du Klavierwerk.

Son : 7,5 – Livret : 9 – Répertoire : 9-10 – Interprétation : 9,5

Christophe Steyne

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