Grisant récital de motets entre Renaissance anglaise et stile nuovo 

par

Philips & Dering motets. Peter Philips (c1560-1628) : Ecce vicit Leo ; Loquebantur variis linguis ; Pavan and Galiard dolorosa ; Ave Jesu Christe ; Ut re mi fa sol la ; Jubilate Deo ; Gaudens Gaudebo ; Christus resurgens ; Salve Regina. Richard Dering (c1580-1630) : Jesu dulcedo cordium ; Factum est silentium ; Virgo prudentissima ; O bone Jesus ; Fantasia a 5 ; Quem vidistis pastores. John Dowland (1563-1626) : Paduan a 4. The Choir of Gonville & Caius College ; Cambridge in Echo, Matthew Martin. Juillet 2022. Livret en anglais ; paroles en latin et traduction en anglais. TT 60’58. Linn CKD 717

Ce programme propose une anthologie de motets polyphoniques de cinq à huit voix, dédiés à diverses vocations et circonstances liturgiques (Noël, Pâques, Pentecôte…). Les amateurs de voix d’enfants se souviendront d’un CD du Choir Of King's College de Cambridge (Emi, 1991) où Stephen Cleobury rapprochait déjà ces deux compositeurs, qui partagèrent quelques autres similitudes de style et de destin que leur Angleterre natale. Dans un royaume où le statut de recusant était considéré comme un délit, leur foi catholique les amena à l’exil. Tous deux se retrouvèrent à Bruxelles notamment au couvent Notre-Dame de l'Assomption où Dering devint organiste et où la fille de Philips fut accueillie parmi la congrégation. 

Peter Philips reste plus connu que son compatriote et aîné Richard Dering. Les deux compositeurs contribuèrent pourtant de conserve à assimiler le stile nuovo qui commençait à fleurir en Europe continentale, dans la lignée de la naissante seconda prattica. Sans se dispenser de certaines survivances, à l'instar de l'intonation au début du Salve Regina, amorce du plain-chant de l'hymne médiévale. Les influences de l'ancienne et de la nouvelle manière culminent conjointement dans l’Ave Jesu Christe, dont le style chevauche la Renaissance et le premier Baroque, et aussi dans le Jesu dulcedo cordium qui mêle chromatisme et parlando. On admirera encore l'ingéniosité narrative du Factum est silentium dont l’exergue solennel précède les confrontations antiphoniques évoquant le combat céleste entre Saint Michel et le dragon.

Outre les pages instrumentales (Pavane, Fantaisie…) en broken consort dont une Paduan empruntée à John Dowland, l'ensemble Cambridge in Echo accompagne chaque intervention chorale, les rehausse par ses véloces diminutions de cornet voire se substitue à certaines lignes vocales, pour un effet particulièrement suggestif dans la glossolalie du Loquebantur variis linguis. La virtuosité de l'écriture pour clavier de Philips se retrouve aussi dans certaines figurations, ainsi dans Ecce vicit Leo ou Gaudens godebo

Matthew Martin et son équipe se distinguent par une interprétation de haute volée : souple, délicatement pigmentée, et toujours expressive. L’acoustique de l’église de la Sainte Trinité de Minchinhampton leur offre un écrin de réverbération qui nimbe ce récital d’une touchante ferveur. La transparence de la captation magnifie ce fin travail d’enluminure spirituelle. Mieux qu’un parcours sans faute : un plaisir sans nuage, où l’art de ces deux transfuges élisabéthains rayonne de toute sa subtilité et son éloquence.

Son : 9 – Livret : 8,5 – Répertoire : 8-10 – Interprétation : 10

Christophe Steyne

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