Paul Daniel à propos de la Princesse de Trébizonde d’Offenbach

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Le chef d’orchestre Paul Daniel dirige le nouvel enregistrement de la Princesse de Trébizonde de Jacques Offenbach, publié chez l'indispensable et exemplaire label Opera Rara. Ce premier enregistrement mondial de l’édition de Jean-Christophe Keck est une grande référence qui fera date dans notre connaissance de l'œuvre d’Offenbach. A cette occasion, nous sommes heureux de nous entretenir avec Paul Daniel, un musicien bien connu et hautement apprécié en Belgique.  

Qu’est-ce qui vous a motivé à accepter de diriger cet enregistrement de la Princesse de Trébizonde

C'est le résultat de nombreuses relations de longue date ! Tout d’abord avec le directeur d'Opera Rara, avec le London Philharmonic Orchestra bien sûr, et avec Carlo Rizzi, le directeur musical d'Opera Rara, qui est un vieil ami ! Dans les années 90, j'ai dirigé l'une des premières nouvelles éditions d'Offenbach de Jean-Christophe Keck, dans une production londonienne des Contes d’Hoffmann, et j'ai toujours admiré son travail infatigable etl inlassable. C'est donc tout naturellement que j'ai accepté de participer à ce projet. J'adore la façon dont Opera Rara travaille sur ses productions, toujours avec de longues et luxueuses périodes de répétitions musicales au piano, avant de rencontrer l'orchestre. C'est le moyen idéal pour "souder" l'ensemble musicalement et créer une équipe vraiment théâtrale. 

Quelles sont les qualités musicales de cette partition ? Quelle est sa place dans l'œuvre dans l'œuvre d'Offenbach ?

Nous avons ici le luxe d'avoir deux œuvres en une : grâce à la découverte de tous les matériaux rejetés de la production de Baden Baden " Trebizond " de l'été 1869, nous pouvons voir l'extraordinaire fertilité de l'imagination d'Offenbach, toujours en transition, repensant et réécrivant sans cesse sa partition avant la reprise à Paris 6 mois plus tard.

C'est typique d'Offenbach, d'une certaine manière : l'incroyable énergie habituelle de création et de recréation (il est en pleine période intense de création avec 8 œuvres en moins de 15 mois !).  Je pense que c'était possible parce qu'il avait sa troupe de confiance avec lui : il l'a emmenée à Baden Baden  pour la saison d'été 1869, puis l'a ramenée pour lancer une autre saison parisienne à l'automne, avec un tout nouvel ensemble de pièces à préparer, et une toute nouvelle " Trébizonde " à apprendre !

Dans les deux partitions, beaucoup de "l'ancien" Offenbach, du burlesque plein d'esprit, surtout pour les personnages de la vieille génération : mais on y trouve de plus en plus un lyrisme beaucoup plus délicat : des moments de tendresse dans les relations des jeunes amants (le Prince Raphaël et sa Zanetta/Princesse, mais aussi la relation très touchante entre Tremolini et Regina). Prenez ces duos seuls, loin de l'esprit et du burlesque qui les entourent, et nous avons une musique sans ironie, une musique qui nous touche vraiment par sa sincérité et son amour. Et ce sont ces mélodies qu'il choisit de mettre en valeur dans son Ouverture et ses Entractes. Il s'agit certainement d'une nouvelle orientation pour le compositeur.

La satire ne manque pas, bien sûr, mais elle n'est plus aussi féroce. Il ne s'agit plus de se moquer de l'establishment par le biais du classicisme (Orphée aux Enfers, La Belle Hélène...), mais de se moquer plus gentiment des aspirations et des ambitions sociales de son véritable public. Fantasmes de "start-up" de la nouvelle bourgeoisie, rêves d'abandon du travail de forain après avoir gagné au Loto, emménagement dans un château, tout cela est très contemporain !

Pour moi, la qualité la plus extraordinaire est sa maîtrise des contrastes musicaux extrêmes, mélangeant, contrastant et juxtaposant des ingrédients qui ne devraient jamais se combiner, créant toujours de nouveaux "plats" musicaux.

D'une minute à l'autre, Offenbach passe de l'absurde au sublime, du travesti Prince tombant amoureux d'une poupée de cire à un duo d'amour d'une sincérité exceptionnelle : du pandémonium fou d'une fête de loterie à l'ensemble le plus tendre d'adieux à l'ancienne vie... vous pouvez être sûr que quelques minutes après que toute la famille soit devenue folle à faire tourner des assiettes dans leur château ennuyeux, ou après que Raphaël ait déclenché une frénésie après avoir hurlé avec un faux mal de dents, il y aura des couplets d'amour et d'affection tendre, agrémentés de l'orchestration la plus délicate.

Comment avez-vous sélectionné les chanteurs de la distribution ?

Le plus grand défi d'un studio d'enregistrement est qu'il n'y a pas de théâtre : pas de costumes, pas de scène, pas de public ! C'est pourquoi, au-delà des chanteurs capables de maîtriser l'immense virtuosité de l'écriture vocale d'Offenbach, ma première priorité est de créer une "équipe" qui a la scène, le théâtre dans les os et sera à même de transformer le studio d'enregistrement en salle de spectacle ! Il en va de même pour l'orchestre -et avec le London Philharmonic, qui passe plusieurs mois par an à Glyndebourne à jouer des opéras, nous avons la chance d'avoir des musiciens qui peuvent vraiment jouer chaque note avec un zeste de théâtre. 

Nous nous sommes assurés de trouver la meilleure distribution francophone, qui trouverait chaque épice dans le merveilleux livret ; nous avons également créé un cocktail vivant de chanteurs confirmés et de nouvelles voix. J'ai déjà travaillé avec beaucoup d'entre eux -j'ai été particulièrement heureux de refaire de la musique avec Anne-Catherine Gillet et Virginie Verrez, et d'accueillir Katia Ledoux pour son premier enregistrement. Un ensemble typique d'Opera Rara, composé de chanteurs confirmés et de nouveaux talents !

La musique d'Offenbach est certainement très difficile en termes de style. Il faut trouver le ton juste pour un théâtre qui est, comme vous l'écrivez dans le livret, "audacieux et magique". Comment parvenez-vous à recréer la magie de ce style Offenbach en studio ?

J'ai parlé de la recherche de talents exceptionnels dans la distribution, tant pour les paroles que pour la musique : mais une grande partie de l'"audace" et de la "magie" vient aussi de la relation avec mon producteur et mon ingénieur du son. Jeremy Hayes et Mike Hatch sont de véritables "héros méconnus" ! Vraiment, ils ont passé des heures et des heures à jouer avec le timing entre les dialogues et la musique, à ajuster l'interaction entre eux d'une demi-seconde ici, d'un dixième de seconde là, à ajuster l'équilibre sonore entre les mots parlés et les mots chantés... Je voulais aussi jouer de manière aussi impliquée, aux limites du danger, que possible avec la musique, 

Je voulais aussi jouer le plus dangereusement possible avec la sensation de théâtre -en ajoutant des effets sonores, en créant une fête foraine au début, en ajoutant autant de rires "hors scène" que nous l'avons osé, en faisant vraiment vivre le studio avec l'énergie d'un Bouffes Parisiens "plein à craquer" ! 

L'accueil critique de cet enregistrement est très positif au Royaume-Uni avec  des critiques élogieuses dans la presse. Nos amis britanniques sont-ils, comme pour tant de grands compositeurs français tels que Rameau et Berlioz ( et même si Offenbach n'est pas né en France), les plus grands fans et défenseurs de la musique française ?

Pas du tout -les compositeurs français n'ont pas besoin d'être défendus, ce sont les Britanniques qui ont besoin d'être inspirés ! Nous, les Britanniques, sommes très heureusement enrichis par la musique française, l'humour français, le goût français. Sans l'énorme succès des productions d'Offenbach à l'Adelphi et au Gaiety Theatre, le théâtre musical anglais aurait eu beaucoup moins de succès par la suite. Et pour moi, tous les enregistrements d'Offenbach de l'ORTF des années 1950 et 1960 sont un vrai plaisir ! Marcel Cariven, Jean Doussard, Roger Albinrec, Jean-Paul Kreder, Jean-Paul Marty -un véritable trésor de style français !

A écouter :

Jacques Offenbach (1819-1880) : La Princesse de Trébizonde opéra bouffe en trois actes.  Virginie Verrez, Prince Raphaël ; Anne-Catherine Gillet, Zanetta ; Antoinette Dennefeld, Régina ; Katia Ledoux, Paola ; Josh Lovell, Prince Casimir ; Christophe Gay, Cabricio ; Loïc Félix ; Sparadrap - Le directeur de la loterie ; Christophe Mortagne, Trémolini. Opera Rara Chorus, chef des chœurs ; Stephen Harris ; London Philharmonic Orchestra, Paul Daniel. 2023. Livret en anglais. Synopsis en: anglais - allemand et italien. Texte chanté en français - traduction en anglais. 2 CD Opera Rara. ORC 63.

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

Crédits photographiques : Opera Para /

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