Un hommage choral pour les 100 ans de la disparition de Stanford

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Sir Charles Villiers Stanford (1852-1924) : Six Irish Folksongs, op. 78 ; Eight Partsongs, op. 127 ; Six Elizabethan Pastorals (vol. I), op. 49 ; Nine Irish Folksongs ; Emers’ farewell to Cucullain (Londonderry Air). The Sixteen, direction Harry Christophers. 2024. Notice et textes chantés en anglais. 75’53’’. Coro COR 16207.

Face aux hommages spécifiques rendus cette année à Bruckner, Fauré, Puccini, Schoenberg ou Smetana (et à quelques autres, moins médiatisés), les cent ans de la disparition de Sir Charles Villiers Stanford risquent de passer totalement inaperçus de ce côté-ci de la Manche. Mais pas en Angleterre, où le souvenir de ce compositeur typique de l’establishment, hautement estimé de son vivant et couvert d’honneurs, entraîne encore le respect. Pour l’occasion, le label Coro, qui accueille les productions de l’ensemble The Sixteen, créé en 1979 par Harry Christophers, propose, avec le soutien de la Stanford Society fondée en 2007, un florilège d’une trentaine de chants traditionnels et folkloriques, dont plus de la moitié sont des premières au disque. 

Né à Dublin dans une famille aisée anglo-irlandaise, le jeune Charles est envoyé à Londres dès ses dix ans pour s’y perfectionner, après une première formation dans sa cité natale, basée sur le piano, le violon, l’orgue et la composition. Après Cambridge, il est à Leipzig, auprès de Carl Reinecke (1824-1910, autre figure oubliée des commémorations de l’année), puis à Berlin, chez Friedrich Kiel (1821-1885), pendant les années 1874/76. De retour en Angleterre, il est nommé professeur de musique à Cambridge en 1887 ; il y enseignera pendant près de quatre décennies (Bliss, Holst, Ireland ou Vaughan Williams seront de ses élèves), tout en officiant comme chef d’orchestre, très apprécié par Hans von Bülow, et en dirigeant le London Bach Choir pendant quinze ans. Il sera anobli en 1902. Obstinément romantique, Stanford laisse un catalogue important : plusieurs opéras, de la musique pour orchestre, dont sept remarquables symphonies, de la musique de chambre et vocale, ainsi que des écrits sur la musique. 

C’est sa production chorale profane qui nous intéresse ici. Stanford a puisé dans le vaste réservoir littéraire de l’Angleterre, qu’il s’agisse de Shakespeare, des poètes élisabéthains, de Milton, Shelley, Byron, Keats, Tennyson ou Whitman, comme le rappelle la notice bien documentée de Jeremy Dibble, auteur d’un ouvrage sur le compositeur (Oxford, 2002, réédition augmentée en 2024). Mais c’est à Thomas Moore (1779-1852), qui fut proche de Byron et que Berlioz apprécia en son temps, que les Six Irish Folksongs op. 78, qui ouvrent le programme, font référence. Ce poète irlandais avait écrit 130 poèmes dans lesquels Stanford puisa pour ce cycle de 1901. L’inventivité mélodique, répartie entre les quatre groupes de voix (SATB), souligne, en de fins contrastes, la tendresse, l’amour juvénile ou désireux de se venger, la tristesse, la victoire ou la liberté. 

Les Eight Partsongs op. 127 s’inspirent de l’œuvre de la poétesse Mary Elisabeth Coleridge (1861-1907), sœur d’un ami de Stanford. Publiés à titre posthume, ses vers, qualifiés par un autre poète, Robert Bridges (1844-1930) de merveilleusement beaux… mais mystiques plutôt qu’énigmatiques, quelque peu sophistiqués mais d’un grand pouvoir expressif, ont été mis en valeur à plusieurs reprises par Stanford. On retiendra Plighted, un poème d’amour auquel Sir Hubert Parry s’intéressera également, ainsi que les évocations venteuses de The Haven ou anxieuses de Larghetto, le tout se concluant par le symbole chrétien de la Croix du Christ dans To a tree. Le romantisme s’invite à chaque instant, tant dans les moments passionnés que jubilatoires. L’inspiration chorale de Stanford est ici à son comble. Elle l’est tout autant dans les Six Elizabethan Pastorals, op. 49, qui nous ramènent près de vingt ans plus tôt, en 1892. C’est le premier des trois cahiers qui est ici interprété. Le choix des textes s’est porté sur des poètes du XVIe siècle, Henry Constable, Sir John Wotton et Thomas Lodge, dont les superbes sonnets Damon’s Passion et Phoebe dominent le cycle en termes d’apport affectif. Le dialogue entre les choristes est subtil et distingué autant qu’adroitement enrobé.

Les Nine Irish Folksongs, dont les dates de composition sont incertaines et n’ont bénéficié d’une édition que récemment (on la doit à Jeremy Dibble), illustrent le passé de l’Irlande, grâce à des vers du poète folkloriste Alfred Perceval Grace (1846-1931), mais aussi à des emprunts à Thomas Moore, déjà mentionné. Ici, les thèmes sont variés, ils évoquent de tendres moments amoureux, le palais des anciens souverain, les anciens guerriers ou les cloches de la cathédrale St Mary de Limerick et leur légende. La diversité est au rendez-vous de ce cycle, dont Stanford utilisera certaines mélodies pour des pages orchestrales de ses Irish Rhapsodies. Le programme se conclut par un émouvant arrangement de 1923 du Londonderry Air, repris lui aussi dans la première Irish Rhapsody.

Les Sixteen sont impeccables, de bout en bout, dans ce répertoire enregistré à Londres, dont ils cisèlent toutes les nuances et les couleurs, souvent raffinées, avec un métier affirmé. Les amateurs de chant choral y trouveront leur miel en termes d’interprétation fervente et circonstanciée. On peut compléter cette approche de Stanford par des pages de sa musique sacrée, notamment grâce à des albums récents, consacrés au Te Deum, par le BBC Orchestra & Chorus of Wales, menés par Adrian Partington (Lyrita, 2024), ou encore au Requiem, par l’Orchestre et les Chœurs de Birmingham, dirigés par Martyn Brabbins, avec la soprano Caroline Sampson, en état de grâce (Hyperion, 2023).

Son : 8 ,5  Notice : 10  Répertoire : 8,5  Interprétation : 10

Jean Lacroix

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