Les Surprises imaginent de joyeux pastiches musicaux au Café Zimmermann

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Le concert « Bach en famille », présenté par l’Ensemble Les Surprises le vendredi 18 octobre à Metz, où ils sont en résidence, mettait en lumière les liens profonds entre Johann Sebastian Bach, ses fils Carl Philipp Emanuel et Wilhelm Friedmann, ainsi que des musiciens de son cercle, tels que Georg Böhm, Georg Stölzel, Georg Philipp Telemann et Johann Ludwig Krebs. Le programme se composait de deux symphonies, d’une sonate en trio, ainsi que de deux cantates, l’une profane et l’autre sacrée, toutes créées sous forme de pastiches des compositeurs évoqués. 

Au Café Zimmermann, à Leipzig, des concerts étaient donnés une à deux fois par semaine par le Collegium Musicum, ensemble fondé par Georg Friedrich Telemann. Johann Sebastian Bach, membre de cette joyeuse communauté où la musique et les plaisirs de la table se rejoignent, en prend la direction de 1729 à 1737. Cependant, au début des années 1730, Bach s’éloigne temporairement de Leipzig pour un voyage dédié à l’expertise d’un orgue. Ce voyage se prolonge plus que prévu, obligeant la famille Bach et leurs amis à se relayer pour assurer la continuité des célèbres concerts au Café Zimmermann. C'est dans cet esprit que Louis-Noël Bestion de Camboulas et son ensemble Les Surprises ont imaginé des œuvres composites, inspirées de ce que l’on aurait pu y entendre à l'époque. Il s’agit d’un véritable puzzle musical, finement élaboré et si habilement conçu -où chaque œuvre s’imbrique parfaitement-, que ces œuvres donnent l’impression d’avoir été écrites telles quelles, tant leur cohérence semble naturelle !

Fabuleux claviériste, Louis-Noël Bestion de Camboulas déploie tout son talent au clavecin, enchaînant la plupart des mouvements, y compris pendant l’accord des instruments à cordes, grâce à de courts préludes et interludes improvisés. Ces transitions assurent une fluidité parfaite du discours musical, tout en habituant progressivement nos oreilles à l’atmosphère sonore. Dès le début de la soirée, son jeu au clavecin se distingue par une virtuosité remarquable, notamment dans le Concerto pour clavecin, dont les mouvements respectifs sont signés Carl Philipp Emmanuel, Wilhelm Friedmann et Johann Sebastian Bach

Le final en Allegro, qui n’est autre que le dernier mouvement du Concerto pour clavier BWV 1052, permet à Louis-Noël Bestion de Camboulas de briller, notamment dans une cadence époustouflante par sa virtuosité et son inventivité. Il y introduit quelques touches audacieuses, des « bizarreries » harmoniques et mélodiques qui rappellent le style singulier des deux fils Bach. Cet exercice de liberté musicale se répète à plusieurs reprises au cours des pièces instrumentales (la « Sonate en trio » et la « Symphonie »), pour le plus grand plaisir des mélomanes avertis. Le choix des mouvements reflète l’atmosphère de liberté qui devait régner dans cet établissement convivial. Le violon y est particulièrement mis à l’honneur, notamment dans un « Concerto pour clavecin » où il s’impose comme l’instrument soliste, en particulier dans le deuxième mouvement signé Wilhelm Friedmann. Ce même compositeur est également à l’origine du dernier mouvement de la « symphonie » qui clôt le programme, offrant un véritable moment de bravoure au violon solo. 

Quant aux cantates, le génie du puzzle musical se manifeste avec encore plus de finesse. La cantate profane prend des allures de mini-opéra, avec la « sinfonia » où le clavecin, par moments, évoque le son délicat du luth. Le contraste entre les deux derniers airs est frappant : l’un, empreint de gravité, se présente comme une lamentation, tandis que l’autre, plus léger, adopte le style d’une chanson à boire. Dans la cantate sacrée, les chorales sont interprétées de manière originale : seule la ligne mélodique est chantée, tandis que les autres voix sont habilement remplacées par les instruments.

Marc Mauillon, doté d’une tessiture particulièrement étendue (souvent entendu dans le registre de haute-contre), déploie ici sa voix de baryton avec une résonance impressionnante, atteignant parfois des notes graves proches de la basse. Sa diction, d’une clarté exemplaire, est sublimée par l'excellente acoustique de la Salle de l'Esplanade, rendant son interprétation accessible et agréable à écouter, même pour ceux peu familiers avec la langue allemande. Ce soin apporté à la précision des mots ajoute une dimension supplémentaire au plaisir musical.

Ainsi, le concert « Bach en famille » proposé par l’Ensemble Les Surprises a su marier habilement l’érudition et la convivialité, offrant un formidable puzzle musical. La performance, portée par le talent de Louis-Noël Bestion de Camboulas et la voix exceptionnelle de Marc Mauillon, a ravi le public en mettant en lumière des œuvres composites qui auraient pu résonner au Café Zimmermann. 

Metz, Arsenal Jean-Marie Rausch (Salle de l’Esplanade), le  18 octobre 2024 

Photo © Alain Chudeau 

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