Arthur Hinnewinkel, Prix Thierry Scherz 2024 à Gstaad, a choisi Schumann pour son premier album

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Robert Schumann (1810-1856) : Introduction et Allegro Appassionato (Konzertstück) pour piano et orchestre, op. 92 ; Introduction et Allegro de concert en ré mineur, op. 134 ; Concerto pour piano et orchestre en la majeur, op. 54. Arthur Hinnewinkel, piano. Sinfonia Varsovia, direction Marc Coppey. 2024. Notice en français et en anglais. 61’ 37’’. Claves Records 50-3095. 

Depuis 2001, les Sommets musicaux de Gstaad sont organisés, aux mois de janvier-février, dans ce lieu de villégiature réputé du canton suisse de Berne. Avec une attention particulière portée aux jeunes interprètes de tous pays qui se produisent au cours du festival et jouent du même instrument, différent chaque année. L’un d’entre eux est récompensé par le Prix Thierry Scherz, ainsi nommé depuis 2014, au décès du fondateur et directeur artistique des Sommets. La récompense est l’enregistrement d’un disque avec orchestre, produit par Claves Records, qui offre l’opportunité de se faire mieux connaître. Nous avons évoqué, dans les colonnes de Crescendo, les albums des vainqueurs des deux sessions précédentes. En 2022, la violoniste danoise Anna Agafia gravait un programme Nielsen/Szymanowski (notre article du 27 mars 2023) ; l’année suivante, c’était au tour du violoncelliste anglais Tim Posner de se produire dans Bloch, Bruch et Dohnányi (notre article du 22 mai 2024). 

Le Français Arthur Hinnewenkel s’est vu attribuer le Prix Scherz 2024 après avoir proposé, dans la chapelle de Gstaad, un programme Beethoven, Karol Beffa (œuvre imposée) et Schumann, dont il a donné la Fantaisie op. 17. Pour l’album enregistré en septembre de l’an dernier, Hinnewinkel a choisi de se consacrer totalement à ce dernier compositeur, estimant que, dans le maître de Zwickau, l’on peut se reconnaître à tous les âges de la vie, tant les facettes de l’œuvre sont multiples, entre amour de l’enfance, désir poétique, art du contrepoint et romantisme tourmenté.  Le jeune virtuose, lit-on dans la notice, s’est longuement familiarisé avec des auteurs que Schumann appréciait, comme Jean-Paul, E.T.A. Hoffmann, La Motte-Fouqué ou Novalis. Son choix final pour son album s’est porté sur trois pages concertantes.

Suivons Arthur Hinnewinkel dans ses déclarations. Le programme débute par le Konzertstück op. 92, créé à Leipzig en février 1850 par Clara Schumann ; pour le lauréat, il s’agit d’un coup de cœur. Les séquences solistes m’ont toujours fait rêver, confie-t-il. Envelopper d’accords arpégés le chant des plus beaux instruments, s’imprégner de l’harmonie au gré de phrases lentes, n’est-ce pas le bonheur total ? il joue avec générosité et sensibilité, mais aussi de façon vivante, ce plein quart d’heure, au sujet duquel Brigitte François- Sappey a précisé que tout le rêve allemand trouve à s’exprimer dans ces ineffables enlacements mélodiques (Fayard, 2000, p. 720). Le pianiste cueille les fruits de ses lectures ! Dans la foulée, il propose l’Introduction et Allegro de concert op. 134, composé fin août 1853, peu avant l’entrée du jeune Brahms dans l’amitié du couple. Sa version, si elle ne néglige pas la virtuosité et l’aspect décoratif qui s’y trouve, aborde de façon sereine et naturelle cette partition qui se souvient de Weber. Hinnewinkel dit avoir été séduit par son caractère de défi, avec cette polyphonie d’une richesse inouïe, et ses accents à la fois mystiques et douloureux.

Le Concerto pour piano op. 54, créé par Clara en décembre 1845, est un défi à relever pour un jeune artiste, car les gravures de qualité sont en grand nombre. Ici, l’Allegro affettuoso, qui fut d’abord, rappelons-le, une œuvre indépendante, est porté avec une tendresse qui décline bien l’atmosphère intime et la pudeur qui s’en dégage. L’Intermezzo. Andantino grazioso creuse les détails expressifs, un peu trop étirés, mais les nuances poétiques sont soulignées. Le vaste Allegro vivace permet au soliste d’établir un vrai dialogue avec l’orchestre, la virtuosité tendant à la synthèse entre générosité romantique et héroïsme radieux. Même si la discographie n’est pas modifiée, on perçoit, dans l’interprétation, tout l’amour que ce jeune pianiste porte à Schumann. 

Né aux États-Unis en 2000 en raison des déplacements de son père guitariste, Arthur Hinnewinkel a découvert le piano à Singapour à l’âge de sept ans. Ce sera ensuite la banlieue de la capitale de l’Hexagone et ses conservatoires, notamment avec Anne-Lise Gastaldi, puis le CNSM de Paris, auprès de Hortense Cartier-Bresson et Fernando Rossano. Il a préparé plusieurs concours, avec une place en finale au Clara Haskil de Vevey en 2023. Au moment où il gravait le présent album en 2024, il est entré en résidence à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth, dans la classe de Frank Braley et Avadis Kouyoumdjian.  

Cet album Schumann bénéficie des qualités de la Sinfonia Varsovia, menée Marc Coppey, un choix d’Arthur Hinnewinkel, qui a collaboré à plusieurs reprises sur scène avec ce violoncelliste réputé. Voici en tout cas une belle carte de visite pour ce soliste, dont on suivra la carrière avec attention.

Son : 8,5    Notice : 9    Répertoire : 10    Interprétation : 8

Jean Lacroix 

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