A Genève, l’OSR aux étoiles !
Le plus beau concert de l’Orchestre de la Suisse Romande depuis le début de la saison ! La rencontre au sommet de deux grandes pianistes, Martha Argerich et Maria Joao Pires sous la direction de Daniel Harding !
Dans un Victoria Hall bondé jusqu’à ras bord dont le public s’est arraché les places, laissant je ne sais combien d’élèves de conservatoire à la porte, les trois artistes avancent sur scène et s’attaquent au Concerto pour deux pianos et orchestre en mi bémol majeur K.365 de Mozart que le chef phrase avec une rare élégance en faisant ressortir les cors du tissu de l’introduction. A partir d’un trille scintillant, Maria Joao Pires impose un jeu extrêmement clair alors que Martha Argerich recherche la profondeur de son qui stabilise le dialogue. Toutes deux se répondent avec une sobriété naturelle en cultivant le mimétisme de sonorité. Le discours se développe comme dans un rêve. Devant l’enthousiasme tapageur du public, l’on rapproche les tabourets et les deux dames savourent avec délectation l’andante babillard de l’une des sonates pour piano à quatre mains du divin Wolfgang.
En seconde partie, Daniel Harding propose l’une des pages charnières de la jeunesse de Gustav Mahler, La Première Symphonie en ré majeur dite Titan. Comme elle porte bien son surnom lorsqu’elle est livrée ainsi, en s’ouvrant avec un pianissimo presque imperceptible que zèbrent les clarinettes imitant le coucou auquel répondra le cantabile des violoncelles. Par contraste, les tutti sont d’une rare véhémence qu’aseptisera le soyeux des premiers violons osant le feutrage des sons pour créer le mystère. Mais un brusque stringendo amènera les fanfares de trompettes de la conclusion. Le Kräftig bewegt prend la tournure du ländler que les cordes tirent vers le bastringue, tandis qu’un rallentando introduit un trio sarcastique assoupli par un savant rubato sur chaque motif, avant le da capo cinglant du ländler. Sur les timbales en sourdines, le Feierlich und gemessen se développe en innervant le propos d’inflexions étranges que pimente un hautbois moqueur, tandis que le Final tient du cataclysme par la sauvagerie des traits à l’arraché. Mais sous les appels de cors, les violons en demi-teintes prédisent une sérénité paradisiaque, dont les cuivres finiront par entrouvrir les portes… Et les spectateurs sont propulsés de leur siège, acclamant un chef et une exécution à nulle autre pareille. Un magnifique concert en fanfare à la veille des fêtes de Noël !
Paul-André Demierre
Genève, Victoria Hall, le 16 décembre 2021
Crédits photographiques : Felix Broede