A Genève,  un Kissin éblouissant   par Paul-André Demierre

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Depuis de nombreuses années, Yevgeny Kissin est l’invité régulier de l’Agence de concerts Caecilia pour sa série ‘Les Grands Interprètes’. Au fil de chaque récital, l’on perçoit une maturité dans son jeu qui cherche l’équilibre des plans sonores en laissant de côté le brillant factice d’une virtuosité tapageuse. 

La Deuxième Partita en ut mineur BWV 826 de Bach en donne la preuve éclatante par son entrée en matière qui se veut péremptoire, tout en nimbant d’un son clair l’allegro et le fugato de la Sinfonia initiale soutenus par une main gauche d’une rare précision. Dans une logique parfaitement naturelle, il enchaîne l’Allemande avec son canon agençant deux voix qui s’écoutent attentivement avant de les laisser s’affirmer brillamment dans la Courante. La Sarabande se confine dans une introspection rassérénée qui distille les audaces harmoniques pimentant ensuite le Rondeau qui déroule ses formules en cascades. Et c’est avec la sobre rigueur d’un Capriccio à trois voix que s’achève cette Partita qui, d’emblée, a mis en lumière la pondération d’un jeu qui évite de durcir le son.

Le programme se poursuit avec deux des Nocturnes de Chopin, l’opus 27 n°1en ut dièse mineur déroulant une basse ondoyante sur tessiture large soutenant le chant éperdu de deux voix nostalgiques qui survivront à un Più mosso fébrile, alors que l’opus 32 n.2 en la bémol majeur renoue avec une fluidité mélodique qui saura se maintenir dans le Più agitato médian avec ses accords en triolets. Le Quatrième Scherzo en mi majeur op.54 cultive la même veine en insérant les traits arachnéens dans une ligne de chant qui se gorge d’atavique mélancolie dans le Più mosso médian avant de reprendre la partie initiale et de conclure par une stretta échevelée. 

En seconde partie, chaussant ses lunettes pour affronter une partition redoutable, Yevgeny Kissin s’attaque à un ouvrage peu connu de Dmitri Chostakovitch, la Deuxième Sonate en si mineur op.61 datant de 1943. Sur une basse aux rythmes pointés qui lui sert de support mélodique, la main droite livre un trait en vrille qui amène un cantabile à la pointe sèche se déroulant dans l’aigu de la tessiture. Une marche aux tutti carillonnants se résorbe en une polyphonie où les mains se croisent pour jouer avec les modes majeur ou mineur. Le Largo fait dialoguer deux voix dans une poésie intime ponctuée par d’étranges accords en sourdine étirant la péroraison vers d’irréelles sphères. Le Final égrène un thème monodique à la main droite donnant naissance à une ample passacaille dont les lignes se resserrent pour ériger de massifs tutti que la coda diluera en un choral pianissimo s’éteignant dans les méandres d’une basse mystérieuse. 

 A la suite de cette Sonate si originale, le pianiste propose deux des Préludes et Fugues op.87 du même compositeur, tirant du 15e en ré bémol majeur un contrepoint serré comme un mécanisme d’horloge que s’entêtera à dérégler furieusement la partie fuguée, tandis que le 24e en ré mineur édifie de majestueux accords sous-tendant la double fugue à quatre voix qui s’amplifiera progressivement en un accelerando saisissant en guise de péroraison.

Devant les applaudissements enthousiastes du public, Yevgeny Kissin finit par donner en bis une page de Bach  vraisemblablement transcrite par Busoni puis se jette à corps perdu dans un Deuxième Scherzo de Chopin à vous laisser pantois d’admiration. Quel artiste !  

Genève, Victoria Hall, 10 mars 2025

Crédits photographiques : Johann Sebastoan Hänel

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