A Genève, un nouveau Matsuev ?

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Pour commencer sa saison 2019-2020, la série ‘Les Grands Interprètes’ organisée par l’Agence de concerts Caecilia invite une fois de plus le pianiste sibérien Denis Matsuev. Au cours de ces dernières années, l’image qu’il nous a laissée est celle d’un virtuose au style boursouflé, s’en prenant violemment à son clavier comme s’il se livrait à une partie de catch. Mais Steve Roger, l’un des organisateurs du récital du 30 septembre, m’a convaincu d’y assister en me parlant d’un nouveau Matsuev.

Est-ce le cas ? Son programme débute par deux des grandes sonates de Beethoven, l’Appassionata et l’opus 111. Dans la 23e en fa mineur op.57, son jeu révèle une limpidité inhabituelle avec des accords moins massifs que d’habitude et des trilles clairs qui lui permettent d’iriser l’aigu par rapport aux lignes de force ; mais les dernières pages de l’Allegro assai renouent avec son péché mignon de l’emphase par les cassants accords partagés entre les deux mains et les cascades d’arpèges tournant au torrent tempétueux. Dans l’Andante con moto, l’on perçoit que la poésie méditative ne s’inscrit pas dans ses cordes ; mais le jeu conserve une sobriété qui lui concède de modeler le cantabile sur le flux des triples croches perlées. Par contre, le martellato de septième diminuée propulse le finale en une célérité hors-bord sans intérêt. Ensuite, la 32e en ut mineur op.111 paraît plus convaincante par son introduction, à la sonorité imposante mais laissant affleurer l’inquiétude, tandis que la transition, plus recueillie, débouche sur un Allegro con brio dont le phrasé, ménageant les contrastes, ne s’exalte que dans les traits rapides. L’Arietta dégage une tendresse retenue qui émousse le caractère involontairement ‘jazzy’ de l’une des variations en dessinant, à ras du clavier, d’insaisissables volutes dans l’aigu.

En seconde partie, Denis Matsuev enchaîne deux pages de Tchaikovsky, la Méditation op.72 n.5 au lyrisme salonnard et la Doumka op.59, cheval de bataille du jeune Horowitz, dont il fait chanter la mélodie en l’ornementant avec délicatesse avant de se jeter dans une danse effrénée que finira par aseptiser le thème initial en clair. Et le programme s’achève par la Sonate en si mineur de Liszt, grande charte du romantisme dont le pianiste accentue la basse sardonique afin de laisser déferler de vrombissantes octaves aboutissant à un Grandioso claironnant, édulcoré par le Sostenuto. Mais un virulent stringendo fait chuter les traits en une cataracte que ne pourra pas endiguer un fugato plus rigoureux. Et les dernières pages donnent l’impression que l’interprète se laisse piéger par sa propre virtuosité.

Devant les hourras qui ont épaté une large part de la galerie, Denis Matsuev offre trois bis, dont une Tabatière à musique de Lyadov, nimbée d’un pianissimo salvateur, puis une transcription d’une page de Peer Gynt, Dans le hall du roi de la montagne, qui fait venir à l’esprit un titre shakespearien, Much Ado About Nothing… beaucoup de bruit pour rien.

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, le 30 septembre 2019

Crédits photographiques : Denis Matsuev (www.matsuev.com)

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