A Genève, une stupéfiante Oksana Lyniv
A Genève, le 24 octobre est la date fixée pour célébrer la Journée des Nations-Unies. Chaque année, l’Orchestre de la Suisse Romande donne un concert d’une heure pour embellir l’événement. En cet automne 2021, il invite une jeune cheffe ukrainienne, Oksana Lyniv, dont la presse a abondamment parlé l’été dernier car elle a été la première femme à diriger au Festival de Bayreuth en assurant les représentations de Der fliegende Holländer.
En la voyant entrer sur la scène du Victoria Hall, l’on se prête à sourire tant elle est petite. Mais dès qu’elle est au pupitre, elle dégage une ahurissante énergie par un geste de la main droite d’une extrême précision et par la gauche pour développer le legato, ce que révèle d’emblée le célèbre Adagio pour cordes de Samuel Barber créé en 1938 par Arturo Toscanini et le NBC Symphony Orchestra. Dans un pianissimo d’une mélancolie profonde, elle s’ingénie à fusionner les registres puis suscite la tension en exacerbant le cantabile des premiers violons jusqu’au paroxysme avant de laisser s’éteindre les dernières notes.
L’on passe ensuite à la Neuvième Symphonie en mi mineur op.95 d’Antonin Dvořák dite du Nouveau Monde puisque créée au Carnegie Hall de New York le 15 décembre 1893. Dès les premières mesures prises lento, Oksana Lyniv recherche la profondeur du son dans le piano avant d’arracher les premiers tutti pour parvenir à l’Allegro molto qu’elle vivifie par le legato tout en usant du rubato pour donner libre cours à la flûte dialoguant avec le hautbois et la clarinette. En répondant au choral des cuivres, le cor anglais a de bouleversants accents pour chanter le motif du Largo qui s’animera avec les bois sur le canevas translucide des violons, alors que la pulsation des contrebasses décante la péroraison. Le Scherzo a un caractère brillant par ses tutti qui cèdent la place à une flûte nonchalante annonçant le trio central. Les cuivres cinglants proclament le motif du Final qu’édulcorera la clarinette mélancolique. Les violons se livrent à une danse frénétique que les cors dissiperont pour redessiner chaque thème et conclure fougueusement, en provoquant les ovations du public.
Le concert du lendemain est dédié aux victimes des attentats du 11 septembre 2001 et reprend le même programme sous la direction d’Oksana Lyniv. Toutefois, pour lui donner sa durée habituelle, est ajouté le Concerto pour clarinette, cordes, piano et harpe élaboré par Aaron Copland en 1948 et créé en novembre 1950 par l’illustre Benny Goodman, le NBC Symphony Orchestra dirigé par Fritz Reiner. Ici Paul Meyer en est le soliste, prêtant au ‘Slowly’ initial une dimension sereine soutenue par la harpe. La tension de la texture produit le crescendo jusqu’à la cadence du solo, véritable kaléidoscope sur tessiture large. S’y enchaîne un ‘Rather fast’ jazzy aux tutti anguleux qui pousse la clarinette jusqu’à ses derniers retranchements. Mais Paul Meyer s’en accommode avec panache en remportant un succès ô combien mérité.
Genève, Victoria Hall, les 24 et 25 octobre 2021
Paul-André Demierre