A Lausanne, un Don Pasquale ébouriffant  

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Comme avant-dernière production de sa saison lyrique, l’Opéra de Lausanne présente un ouvrage absent de l’affiche depuis plus de vingt ans, Don Pasquale, l’ultime chef-d’œuvre bouffe de Gaetano Donizetti. Et Claude Cortese, le nouveau directeur, emprunte à l’Opéra National de Lorraine la production que Tim Sheader avait conçue en décembre 2023 en collaborant avec Leslie Travers pour les décors, Jean-Jacques Delmotte pour les costumes et Howard Hudson pour les lumières. Repris à Lausanne par Steve Elias et Louise Brun, le spectacle n’a pas pris une ride. Et l’on découvre un building vitré arborant en lettres gigantesques PASQUALE, le nom du propriétaire, laissant entrevoir l’alignement des bureaux avec les secrétaires affairés devant leur ordinateur, surplombant les sous-sols où déambule l’équipe de nettoyage incorporant une certaine Norina dont on reparlera… Lorsque l’on finit par pénétrer dans la demeure du vieux célibataire, l’on reste bouche bée devant cet intérieur cossu avec escalier intérieur jouxtant la paroi et ces guéridons style Empire qui exhibent deux ou trois objets de musée de grande valeur. Tiré à quatre épingles, Malatesta joue avec duplicité les entremetteurs côtoyant un Pasquale en jogging se faisant faire la barbe pour paraître fringant, avant de rejoindre l’étage du personnel pour inciter Norina à prendre part à son machiavélique stratagème. Qu’importe qu’Ernesto, l’amoureux transi, soit laissé pour compte, vu son look de punk, sucette à la bouche, guitare en bandoulière, juché sur une trottinette dernier cri ! Lorsque la jeune femme s’emparera des lieux en paraphant le contrat nuptial fourni par une notaire totalement délurée, quelle sera la surprise d’y trouver un Arbre de Noël emprunté aux Galeries Printemps laissant passer un train rose bonbon pour véhiculer les cadeaux, alors que les serviteurs se travestissent en pierrot et colombine devant d’énormes bonshommes de neige salis par les intempéries ! Donc une conception visuelle qui sort des sentiers battus !

En ce qui concerne la partition, il faut d’abord signaler que, pour la première fois dans la fosse de l’Opéra de Lausanne, paraît le chef milanais Giuseppe Grazioli, l’actuel directeur musical de l’Opéra de Saint-Etienne. Disposant d’un répertoire des plus éclectiques qui englobe nombre d’ouvrages rares des XIXe et XXe siècles, il insuffle à l’Orchestre de Chambre de Lausanne un indomptable brio tout en s’attachant à mettre en valeur les coloris pimpants de cet ouvrage si attachant. Il est secondé magnifiquement par le Chœur de l’Opéra de Lausanne préparé pour la première fois par Jacopo Facchini qui fait montre d’une louable précision dans le redoutable Coro « Che interminabile  andirivieni » en réussissant même à glisser un zeste d’ironie dans le Tempo di Valzer « Quel nipotino guasta mestieri ».

Sur le plateau, s’impose en premier lieu la Norina étourdissante de la soprano polonaise Angelica Disanto qui joue de la fluidité de sa coloratura et de la facilité de l’aigu pour passer de l’état de pensionnaire de couvent timorée à la pétulance insupportable de la serva devenue patrona. Lui fait face le Don Pasquale d’Omar Montanari, vieux beau qui se veut encore désirable, recourant à une diction parfaite pour imposer ses volontés péremptoires et exhibant une ligne de chant qui se pare d’inflexions désabusées lorsqu’il n’est plus qu’un morto che cammina. Malatesta, fieffé roublard, est campé par le baryton uruguayen Dario Solari qui profite des moirures d’un timbre corsé qu’il peut aisément assouplir afin de négocier les cascate di parole concluant le duetto avec Don Pasquale « Cheti, cheti, immantinente ». L’on s’amuse à voir une Notaire aussi cocasse que celui que propose Julia Deit-Ferrand mais l’on ne peut que s’attrister devant le sempiternel forte émis par le ténor madrilène Joel Prieto dans les séquences élégiaques « Sogno soave e casto » et « Cercherò lontana terra ». Mais son indéniable présence finit par assurer ses moyens lui concédant en fin de partie deux ou trois aigus filés dans la Serenata « Com’è gentil » et le Notturno « Tornami a dir che m’ami ».

Mais ces quelques griefs sont vite engloutis par les délirants applaudissements qui s’adressent tant au chef qu’à l’ensemble du plateau !

Lausanne, Opéra, première du 6 avril 2025

Crédits photographiques : Carole Parodi

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