Alexandre Païta, à propos de son père Carlos Païta

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Le label Le Palais des dégustateurs a entrepris une série de rééditions des enregistrements du légendaire chef d’orchestre Carlos Païta. Cette collection culmine actuellement avec la première édition d’une bande de concert magistrale avec la Symphonie n°9 de Bruckner.  A cette occasion, Crescendo-Magazine est heureux de s’entretenir avec Alexandre Païta, le fils du chef d’orchestre pour parler de ses souvenirs et de la légende de cet artiste hors normes. 

Quels souvenirs musicaux gardez-vous de votre père Carlos Païta ?  Est-ce que l’un de ses concerts en particulier vous a particulièrement marqué ?

Les grands moments que j’ai vécu pour ses concerts ont étés au Royal Festival Hall de Londres, avec la Symphonie n°3 de Camille Saint-Saëns où la salle était comble avec une extraordinaire symbiose avec le public ou alors la Symphonie n°1 de Mahler au Concertgebouw en présence d’Elizabeth Furtwängler, ou encore la Symphonie n°7 de Bruckner à Lier et à Bruxelles. Je peux encore citer le Requiem de Verdi au Royal Albert Hall de Londres où  ses enregistrements comme la Symphonie n°8 de Bruckner, les extraits  du Gotterdammerung de Wagner  et la Symphonie n°5 de  Tchaïkovski à Moscou.

Carlos Païta a été l’un des premiers chefs à fonder “son” label Lodia, ce qui en ces temps était complètement novateur. Qu’est-ce qui l’avait motivé à franchir ce pas ?

Le caractère de mon père étant totalement indépendant ne pouvait pas à mon sens s’adapter à un label établi ou certaines choses devraient être imposées. Je crois aussi que cela pouvait lui donner la possibilité de faire ses enregistrements comme il l’entendait. Par ailleurs il choisissait lui-même l’orchestre, les micros les ingénieurs du son etc.

Il avait également fondé son propre orchestre le Philharmonic Symphony Orchestra.   Fonder son propos orchestre n’était pas non plus chose courante…

En effet, c'était un peu comme le NBC Symphony Orchestra de Toscanini. A Londres, mon père avait réuni les meilleurs musiciens des orchestres londoniens : London Symphony Orchestra, London Philharmonic, Royal Philharmonic….  D’ailleurs leur première tournée fut dans une période tourmentée !  C’était en pleine Guerre des Malouines et imaginez un orchestre anglais avec un chef argentin ! Cette tournée a été accueillie à Genève, Toulouse, Paris et Londres et au programme il y avait le “Prélude et Mort d’Isolde” de Tristan und Isolde et la Symphonie n°8 de  Bruckner.  Le plus grand succès fut à Londres !  

J’ai entendu dire qu’il était très sensible et exigeant envers les prises de son 

Absolument, pour les enregistrements, je sais que mon père utilisait les micros Neumann à tube. Il les avait toujours avec lui. 

Claude Achallé, ancien ingénieur de son de Decca, est resté un homme marquant dans les enregistrements avec mon père. En effet, après avoir travaillé pour Decca, Achallé a beaucoup collaboré avec lui et mon père l’aimait beaucoup. Carlos Païta a été un des premiers à enregistrer en digital. Pour lui, le digital offrait un son pur et dynamique qui correspondait à sa vision de la musique. Il y eut une grande entente musicale et humaine entre eux. Je souhaite lui exprimer ici ma reconnaissance. Claude ne s’est jamais permis de porter un jugement musical, ni de faire une suggestion à mon père. Pas même sur la violence des martèlements de la timbale dans le premier mouvement de la Symphonie n°1  de Brahms ou encore sur la violence dans la marche funèbre du Gotterdammerung. 

Il y a eu des grands producteurs aussi qui ont collaboré avec lui que j’ai moi-même côtoyé lors des enregistrements, et je souhaite citer Tony D’Amato,  Arthur Lilly et même votre compatriote Harry Halbreich. 

Son premier album pour Decca était consacré à des ouvertures et préludes d'opéras de Wagner. Un album qui avait d’emblée cassé la baraque. Wagner était un compositeur qui lui était cher, mais est-ce qu’il a dirigé ses opéras en intégralité ?  

Après le décès de ma mère en août 1966 à Buenos Aires mon père vient définitivement  s’installer en Europe, et Decca, via sa collection hifiste Phase 4 dont le producteur était le fameux Tony D’Amato lui offrit  un contrat d’exclusivité dont le premier enregistrement est en effet consacré à Wagner avec sa  fameuse interprétation du “Prélude et mort d’Isolde” du Tristan und Isolde de Wagner avec le Philharmonia Orchestra (ce disque a obtenu en 1969 le grand  prix de l’Académie Charles Cros en France). Le critique Irving Kolodin (je le cite) compara l’intensité et l'éclat des interprétations de mon père à celles de Sir Thomas Beecham, Wilhelm Furtwängler et Arturo Toscanini. Bien entendu, ce morceau a toujours fait partie des programmes de mon père, mais il n’a jamais dirigé l'œuvre complète de Tristan und Isolde. Le seul opéra dans sa totalité qu’il ait dirigé fut la Damnation de Faust de Berlioz à Bonn. 

Parlons un peu de cette Symphonie n°9 de Bruckner récemment éditée. C’est une lecture qui ne laisse pas indifférent !  

La Symphonie n°9 de Bruckner est une histoire particulière dans nos relations. Sans rentrer dans le détail, je cite Max Trebosc dans une critique « avec Païta on rentre dans l’arène », c’est vrai !  En effet mon père ne se posait pas de questions, il faisait ce que son âme lui dictait et ce qu’il ressentait.  Point ici de pensée, mais des passions qui nous gouvernent, des grandeurs, d’images rendues par la musique qui donnent ce que nous ressentons. 

Comment travaillait-il ses partitions ?  

Il était terriblement exigeant quant au choix des programmes (concerts et enregistrements) raison pour laquelle il connaissait dans le plus profond de lui-même les compositeurs comme Beethoven, Berlioz, Bruckner, Dvořák, Mahler, Strauss, Wagner, Sibelius  mais aussi Tchaïkovski. Il les portait véritablement en lui !  

J’ai vu très rarement mon père au piano dans son travail. Une fois la lecture musicale faite, la musique faisait déjà partie de lui. Ô, combien de fois j’ai vu mon père, partition à la main, faisant passer les notes dans sa tête et dans son âme ! 

De quels grands chefs se sentait-il proche ? 

Indubitablement Toscanini et Furtwängler. En effet pour moi ce sont ces deux chefs qui l’ont marqué durant toute sa vie, on peut aussi parler de Mengelberg, Mitropoulos, Munch….

Nous avons été très liés avec la famille Furtwängler en l’occurrence son épouse Elizabeth Furtwangler et deux de ses fils Andreas et Thomas, de plus la distance entre Montreux, la maison de Famille Furtwängler et Genève où nous résidions était très courte.

Elizabeth a assisté à plusieurs concerts de mon père dont celui avec la Symphonie n°1 de Mahler à Amsterdam dont nous avons parlé plus tôt et me souviens de ses propos sur l’enregistrement de la Symphonie n°3  de Beethoven avec le Royal Scottish Orchestra de mon père, qu’elle comparait à  celui de son époux.

Il me semble que Carlos Païta n’a pas tant dirigé aux USA alors que son style de direction était taillé sur mesure pour la mécanique des orchestres américains ? 

En effet, mon père ne s’est rarement produit aux USA, et ceci est toujours un mystère pour moi sur lequel je ne m’attarderai pas. La première fois se fit à la suite de l’invitation du gouvernement américain, avec le Requiem de Verdi en hommage à Kennedy. 

S’ensuit Houston, avec la Symphonie n°9 de  Mahler , et deux invitations de Rostropovitch à Washington quand il était chargé de la direction musicale du National Symphony Orchestra. A ce sujet, je me rappelle le titre d’un article dans le Washington Post par le critique Richard Freed, “The Perfection of Carlos Païta”. 

Je voudrais terminer par une question plus personnelle. Vous êtes également artiste, acteur et metteur en scène. Est-ce que la démarche artistique de votre père est une source d’influence ? 

Il me serait très difficile d’exprimer en quelques phrases les 60 ans de partages filiaux et artistiques avec mon père. Pour cela il faudrait qu’un livre se fasse et que je puisse porter ce que je sais, néanmoins, je vais m’y essayer. 

Mon père m'a transmis ses gènes artistiques. L’art est très lourd à porter en soi. Je ne parle pas des questions politiques, financières ou autres mais de ce que cela représente en tant qu’être  humain et de ce que la vie fait dans le plus profond de nous. 

Je ne suis pas musicien mais un acteur de théâtre, cependant la musicalité a toujours fait partie de mon travail au théâtre et mon oreille ne me trompe pas. 

Mon père me disait souvent, “si quelqu' un a pu parler à Dieu c’est Beethoven… Bruckner fait partie de ma vie”. Tout ceci, je l’ai vu  et entendu à travers les mots qu’il m’a adressés en  sortant de la salle de concert, après avoir dirigé les Symphonies n°4, n°7, n°8  et n°9  de Bruckner. 

Lorsqu’au théâtre j’ai joué le personnage de Beethoven, j’ai pensé que mon père avait raison sur son compte.  

A écouter :

Le Palais des Dégustateurs a déjà réédité plusieurs enregistrements majeures de Carlos Païta (lire ici, ici et ici les chroniques). Les prochaines parutions seront consacrées à Taras Bulba de  Janáček  et aux Symphonies n°7, n°8 et  n°9 de  Dvořák (parution juin 2025). Viendront ensuite :  la Symphonie n°9 de Schubert et la Symphonie n°3 de Beethoven ; la Symphonie n°1 de Mahler couplée avec le “Prélude et mort d’Isolde” du Tristan und Isolde de Wagner et le Requiem de Verdi.

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

Crédits photographiques : DR

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