Angleterre, Portugal : messes de la Renaissance, deux nouvelles parutions

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Francisco de Santa Maria (c1532-1597) : Missa O Beata Maria. Pedro Guerrero (c1520-post1560) : O Beta Maria. Antо́nio Carreira (c1520-post 1587) : Tento do quinton tom. Pedro de Escobar (c1465-post1535) : O Maria Mater. Anonyme : Tento do 7o tom / Arte Minima. Irene Brigitte, cantus. David Hackston, altus. Nuno Raimondo, ténor. Luís Neiva, bassus. Pedro Sousa Silva, Antо́nio Godinho, Carlos Sánchez, João Távora, Silvia Cortini, flûte à bec. Juillet 2022. Livret en anglais, allemand. Paroles en latin et traduction en anglais. TT 58’31 Pan Classics PC 10452

John Sheppard (c1515-1588) : Missa O Cantate. Laudem dicite. Jesu salvator saeculi, redemptis. Martyr Dei qui unicum. Gaude, gaude, gaude Maria. Beata nobis gaudia. Gaude Virgo christiphera. Peter Philips, The Tallis Scholars. 2023. Livret en anglais, français, allemand. Paroles en latin et traduction trilingue. TT 75’40. Gimell CDGIM 053

Enfant de chœur de la cathédrale de Ciudad Rodrigo, maître de chapelle pour les archevêques de Guarda puis de Coimbra, puis à Santa Cruz pendant une trentaine d’années, Francisco de Santa Maria avait rejoint la prêtrise. Il composa de la musique sacrée et des pièces pour le théâtre liturgique. Une de ses œuvres maîtresses reste la Missa « O Beata Maria » inspirée par le motet de Pedro Guerrero, frère du mieux connu Francisco Guerrero (1528-1599). La notice situe cette messe dans le contexte de la réforme tridentine. Un plain-chant tiré d’un manuscrit de Santa Cruz vient alimenter quelques passages en alternatim ainsi que les intonations, abordées ici par une vocalisation plutôt prosaïque.

Le cantus et le superius résonnent avec davantage de raffinement que ténor et bassus. Globalement la polyphonie est servie avec un relief en pleine pâte et une franchise sans apprêt par les chantres d’Arte Minima. Depuis 2011 sous la direction de Pedro Sousa Silva, l’équipe se spécialise dans le répertoire lusitanien de la Renaissance et du Baroque, et s’enorgueillit de travailler sur les sources mêmes. Les voix sont soutenues par un consort de flûtes à bec, qui propose en complément quelques pages instrumentales, contemporaines de la messe, signées d’Antо́nio Carreira, Pedro de Escobar et d’auteur anonyme, -toutes soufflées avec délicatesse.

Après leur parcours dans les messes de Josquin des Prés, conclu en 2020 à l’orée du cinq-centième anniversaire de sa disparition, les Tallis Scholars reviennent à un compositeur que l’équipe d’alors avait inauguré en 1989, et dont elle a contribué à la redécouverte. Dans la notice qu’il a signée, Peter Philips situe la présente anthologie pendant le règne de la Reine Marie (1553-1558) et du sursaut catholique qui caractérisa cette répressive période de restauration. Soprano, mezzo, deux contre-ténors, ténor, basse : la nomenclature polyphonique de la Missa Cantate renvoie à des modèles d’avant la Réforme, et honore des techniques passées qui cèdent peu au contrepoint imitatif, ou alors de manière assez lâche. Les principes d’interaction fécondent un substrat mélodique que la musicologie n’a pas réussi à identifier.

En complément à cette messe archaïsante, le programme déroule une sélection d’antiennes, répons, hymnes qui permettent encore d’admirer la justesse et la transparence de l’ensemble fondé voilà un demi-siècle, et dont les membres d’aujourd’hui cultivent encore l’excellence technique, malgré des effectifs fournis, enrôlant au moins deux voix par partie. L’antienne votive Gaude Virgo christiphera qui referme le CD culmine ainsi à près d’une vingtaine de chanteurs. La précision de l’intonation scrute avec une extrême finesse les frictions harmoniques du Gaude, gaude, gaude Maria, qui transpercent le tissu choral comme le furtif éclat d’un rubis sur une étoffe. Un art de la diffraction que les Tallis Scholars magnifient encore dans les improbables dissonances de l’Amen qui s’érige du Jesu salvator saeculi, redemptis, marquant au fer rouge la louange qui conclut cette soif de rédemption, et reflétant peut-être involontairement l’intransigeance de la sanglante « Bloody Mary ».

Comme toujours avec le légendaire cénacle guidé par Peter Philips, les pupitres de trebles, means et altos brillent d’une pureté adamantine, les ténors et basses semblent bien légers : décantés, et comme magnétisés par l’élévation des strates supérieures. On aurait en tout cas peu de mots pour vanter une telle cohésion collective, l’articulation au cordeau, la mobilité du tactus. Derrière l’impeccable parure, derrière ces sculptures de cristal : ne manquerait à ces éthers qu’une ferveur un peu plus ancrée dans l’émotion des textes ? Le fan des perfectionnistes Tallis Scholars sait à quoi s’en tenir, connaît leurs éventuelles limites, et ne sera pas déçu par ce nouveau jalon de leur riche et souvent exemplaire discographie.

Christophe Steyne

Pan Classics = Son : 8,5 – Livret : 7,5 – Répertoire : 7,5 – Interprétation : 7

Gimell = Son : 8 – Livret : 8,5 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9,5

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