Au clavecin et à l’orgue, trio anglais autour de l’anniversaire Byrd

par

Thomas Tallis (c1505-1585) : Felix namque FVB 109 & 110 William Byrd (c1540-1623) : O Mistress mine. The Galiard for the Victory. Ut re mi fa sol la. Walsingham FVB 68. Fortune FBV 65. Pavan & Galiard BK 14. Orlando Gibbons (1583-1625) : Lincoln’s Inn Mask. Fantasia in d. Nann’s Mask or French Alman. Mask: Welcome Home. Alman: The King’s Jewel MB 36. Whoop, do me no arm good man MB 31. Fantasia in C. Friederike Chylek, clavecin, orgue Leu de la Klosterkirche de Rheinau. Livret en allemand et anglais. Octobre 2022, Février 2023. TT 78’06. Oehms Classics OC 1727

La parution de ce disque coïncide avec le quatre-centième anniversaire de la disparition de William Byrd, auquel en 2019 Friederike Chylek avait déjà consacré un plein album chez le même label (OC 1724), à la suite d’une anthologie de 2018 qui le rapprochait d’autres compositeurs du Baroque anglais, de John Dowland à Henry Purcell. Témoignant de trois générations et de l’évolution esthétique pendant les ères élisabéthaine puis jacobéenne, le présent disque situe Byrd entre son mentor Thomas Tallis, et son cadet Orlando Gibbons. Le programme s’inscrit entre deux pilastres joués à l’orgue (les offertoires Felix namque, –le premier plus narratif, le second plus hypnotique), que l’on entend aussi dans la Fantaisie sur l’hexacorde Ut re mi fa sol la. On regrette que la notice ne nous apprenne rien sur l’instrument de Rheinau ni les raisons qui l’ont élu pour ce récital. En l’occurrence, le Hauptorgel achevé en 1715 par Johann Christoph Leu d’Augsbourg, et restauré en 1990 par la maison Kuhn (36/II + pédalier).

Certes le sol anglais ne compte plus aucun orgue du XVIe siècle. Pour des approximations plausibles, il faudrait se tourner par exemple vers le Positif de la chapelle de Knole et ses tierces pures, à l’instar d’Andrew Benson-Williams dans le volume V de l’intégrale Tallis chez Signum. Ou le Wetheringsett organ conçu par Dominic Gwynn et Martin Goetze selon le mésotonique préconisé par Arnolt Schlick (Heidelberg, 1511) : un accord qui a aussi inspiré les mêmes facteurs pour le Positif de la St Teilo’s church de St Fagans, près de Cardiff, prêté pour les « Byrd Festival celebrations » de 2023 à la Lincoln Cathedral où officia Byrd de 1563 à 1572. Au-delà du débat sur la légitimé du tempérament, la tribune de Rheinau et son mésotonique accommodé tendent à sonner un peu trop rond et poli, même si les registrations s’avèrent bien choisies et essaient de conférer aux trois pièces la perspective qu’elles requièrent. On pourra comparer cette fluide exécution de l’Ut re mi fa sol la avec la pénétrante lecture de Léon Berben sur les sept jeux autrement gréseux de la Grote Kerk d’Oosthuizen (Clarifica Me, Ramée, mai 2007), et avec le souffle magique de Davitt Moroney sur le superbe Ahrend du Musée des Augustins de Toulouse (Hyperion, septembre 1991) auréolé par la longue réverbération du lieu.

Les deux autres tiers du programme entrecroisent des pièces de Byrd et Gibbons sur un clavecin napolitain de 1699, restauré en 2019, pour lequel là encore le livret reste hélas muet. Pour un tel couplage, on rappellera la réussite de Laurent Stewart (Pierre Vérany, novembre 1994), idéal de projection, d’un ton à la fois direct, simple et opulent, sur une copie du Rückers (1612) du Musée d’Amiens faite par Jean-François Chaudeurge. Spécialisée dans le répertoire anglais de l’époque, Friederike Chylek manifeste une articulation certes un peu moins sûre. Mais elle charme par son phrasé agréable, assouplissant ce que la respiration irrégulière et les élans contrariés de certains cycles (les variations sur Walsingham et Fortune) peuvent imposer de tortueux. 

Le contrepoint imitatif ne nécessiterait-il davantage de netteté, de poigne (Galiard for the Victory) et une virtuosité plus caractérisée pour affermir l’intention rythmique ? Même si les partitions semblent parfois imprécisément focalisées au regard de la discipline qu’un Gustav Leonhardt, un Pierre Hantaï, ou un Bertrand Cuiller inculquent à ce genre de pages, Friederike Chylek convainc particulièrement dans les miniatures de Gibbons qui relèvent d’un langage plus délié : elles s’exposent avec franchise (The King’s Jewel) ou profitent de la sensibilité de l’interprète (Nann’s Mask ; Welcome Home ; Whoop, do me no arm).

Christophe Steyne

Son : 9 – Livret : 7,5 – Répertoire : 9-10 – Interprétation : 8,5

Friederike Chylek

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