Bach, les six Partitas intensifiées par Giulia Nuti

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Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Partitas no 1 en si bémol majeur, no 2 en ut mineur, no 3 en la mineur, no 4 en ré majeur, no 5 en sol majeur, no 6 en mi mineur BWV 825-830. Giulia Nuti, clavecin. Livret en anglais, français, italien. Novembre 2021. TT 78’44’’ + 81’33’’. Arcana A557

Outre Bach et son recueil de 1731, deux vedettes se partagent cette parution : l’interprète, et un superbe clavecin. La première avait été repérée par un récital consacré voilà dix ans au contexte parisien pré-révolutionnaire, sur un Taskin qui précédait d’un an l’insurrection de 1789 (Les Sauvages, DHM). D’autres répertoires ont depuis été visités au gré d’albums intelligemment conçus, et abordés sur des claviers pertinemment sélectionnés : plongée dans le Manuscrit Bauyn sur le Louis Denis de 1658 (« le Hanneton »), et plus récemment (2019) une incursion outre-Manche (The Fall of the leaf) sur un virginal de 1590.

Ce n’est pas la latitude italienne que Giulia Nuti a choisie pour cette nouvelle parution, mais une longitude qui manquait encore à sa discographie soliste : l’Allemagne. Point un florilège, mais l’intégralité d’un corpus constitué, et non le moindre : le tout premier que le Cantor avait rassemblé pour la gravure à grand frais, destiné à une élite fortunée, et probablement dépassée par les difficultés techniques de cette Clavierübung qui excédait le niveau des praticiens amateurs. On sait que certaines pièces préexistaient à cette édition, mais le compositeur leur conféra une unité d’ensemble. Après un exergue qui porte un titre différent dans chaque Partita, on retrouve bien sûr la matrice Allemande-Courante-Sarabande-Gigue, quoiqu’une multiplicité de styles et formes s’expriment dans ces séries, même si parfois sous une appellation similaire. Signalons que, pour de vraisemblables raisons de minutage, la répartition des Partitas sur les deux disques a été réagencée.

L’autre vedette, disions-nous, c’est ce clavecin de Christian Ruhlmann d’après le Jean-Henri Hemsch de 1751, doté d’une seconde table d’harmonie qui infléchit la sonorité vers peut-être moins de caractère mais davantage de clarté et de raffinement. On devinerait que cette facture oriente l’interprétation elle-même, limpide, comme fascinée par les subtiles transparences qui s’échappent de la caisse, et qui rapprocheraient ces Partitas de l’esthétique gracieuse des Suites françaises, voire féminisée et non seulement pour cette coquetterie typographique de « Tempo di Minuetta ». On imaginerait presque que l’instrument influence une éthique de la clarté s’érigeant en dialectique avec le toucher de la claveciniste, lui-même peut-être intrinsèquement plus farouche, spontané, rythmicien. Postulons : un clavier aussi élucidant aide et pousse à discipliner le contrepoint, à intégrer une ornementation évidente, quitte à entrer en friction avec les audaces des doigts. De fait, le couple Burlesca-Scherzo BWV 827 n’est pas le plus fantasque qu’on ait entendu. En revanche, intéressante et complémentaire mise en perspective du son et du sens dans la Gigue BWV 829.

Autre preuve à l’appui de cette hypothèse, les tempi trouvent une juste couture, voire parfois attirée, magnétisée par la vélocité, ainsi l’Allemande BWV 826, ou la Courante BWV 830 privilégiant les lignes de fuite, et dans la même Partita la Sarabande un peu hâtée, grevée par quelques passagères carences d’aisance, comme se hissant non sans instabilité sur la pointe des pieds, impatiente de contempler l’horizon –avec le corollaire mérite de voir loin. Ou de ménager une respiration subtilement césurée dans l’autre Sarabande, celle du cahier en ré majeur. Dans l’Ouverture de ce même BWV 828, il serait certes possible, voire enviable, de souligner le contraste entre la majesté du Grave puis la volubilité de l’essor fugué (2’33). Mais comme on l’a suggéré, les mises en tension, les polarités ne sont pas surexploitées, au profit d’une prestation dont la lumière est le vecteur et la lisibilité l’atout. Ce qui n’empêche pas le relief émotionnel, la richesse de vues et la profondeur des idées, tout cela magnifié dans la Toccata BWV 830 dont le phrasé de Giulia Nuti extirpe intensément le pathos altier.

Christophe Steyne

Son : 9 – Livret : 8,5 – Répertoire : 10 – Interprétation : 9,5

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