Bayreuth 2022 : des dieux en dépôt de bilan
Richard Wagner (1813-1883) : Götterdämmerung. Avec : Clay Hilley, Siegfried ; Iréne Theorin, Brünnhilde ; Michael Kupfer-Radecky, Gunther ; Olafur Sigurdarson, Alberich ; Albert Dohmen, Hagen ; Elisabeth Teige, Gutrune ; Christa Mayer, Waltraute ; Okka von der Damerau, Première Norne ; Stéphanie Müther, Deuxième Norne ; Kelly God, Troisième Norne ; Lea-ann Dunbar, Woglinde ; Stephanie Houtzeel, Wellgunde ; Katie Stevenson, Floßhilde ; Igor Schwab, Grane. Chœur du Festival de Bayreuth (Chef de chœur : Eberhard Friedrich), Orchestre du Festival de Bayreuth, direction : Cornelius Meister. Mise en scène : Valentin Schwarz. Décors : Andrea Cozzi. Costumes : Andy Besuch. Lumières : Reinhard Traub. Vidéo : Luis August Krawen. Dramaturgie : Konrad Kuhn. 2022. Menu en anglais. Sous-titres en : allemand, anglais, français et espagnol. Durée : 274 mn. Bonus 54mn. Toutes régions. DGG 00440 073 6404.
DGG propose en Blu-Ray le Crépuscule des dieux, tiré de la nouvelle production 2022 du Ring à Bayreuth. La direction du festival avait fait le choix de la jeunesse : Valentin Schwarz (33 ans) à la mise en scène et Pietari Inkinen (42 ans) à la direction musicale. Malade, le chef finlandais avait été remplacé par un autre talent en pleine ascension : Cornelius Meister.
Le moins que l’on puisse dire c’est qu’à lire les avis de la presse internationale et des commentateurs, ce nouveau Ring a été très fraîchement accueilli, en particulier cet opéra conclusif de la série !
Il est difficile, sur base de ce seul Crépuscule des dieux, de se plonger dans la logique dramaturgique du travail de Valentin Schwarz et de son équipe scénique : décors d'Andrea Cozzi, costumes d'Andy Besuch et lumières de Reinhard Traub. Les trois actes semblent ici ne pas avoir de logique : le prologue et l’acte I se passent alternativement dans l’appartement très classe moyenne supérieure de Siegfried et Brünnhilde puis dans le loft luxueux, design et clinquant, de la famille Gibichungen ; l’acte II se déroule dans un espace scénique nu, alors que l’acte III se passe au fond d’une piscine vide… Comme avec toutes ces relectures, le gouffre entre le livret et la scénographie est abyssal : le voyage de Siegfried sur le Rhin sert de fond sonore à l’aménagement d’un loft de luxe avec déballage de cartons alors qu’au début de l’acte III, Siegfried, seul et esseulé, pêche en vidant bières sur bières dans le fond d’une piscine vide (mais franchement qu’est-ce qu’il est possible de pêcher dans une piscine vide ?). Bien évidemment, point d’anneau mythique dans cette relecture : mais une enfant dont on se dispute la garde comme dans toute famille divorcée et recomposée… Point d’or, si ce n’est le t-shirt jaune de Hagen et une casquette de base ball délavée qui passe de main en main. Point de filles du Rhin non plus, mais un un trio de mégères parvenues et décaties. D’ailleurs “décati” est l’adjectif qui correspond le mieux à cette vision d’ensemble : tous les personnages semblent au bout de leur vie, vaincus par le temps, la mauvaise fortune et les disputes : des Filles du Rhin, en passant par Waltraute ou Siegfried et Brünnhilde, sans oublier Hagen qui traîne sa carcasse au fil de ce long opéra : il suffit de le regarder boxer sans énergie au début de l’acte II, seul sur le vaste plateau du Festspielhaus, pour être en empathie avec son insondable ennui. La piscine vide de l’acte conclusif résume bien la décadence : plus d’eau dans la Rhin, plus d’or, plus d’argent, plus rien… Juste le vide d'un dépôt de bilan.
La caractérisation des personnages n’est pas le fort de cette lecture qui en reste à un niveau assez faible ; on passe de l’ennui de Hagen qui erre sans but à la vulgarité gavée d’arrivisme de Gunther avec son t-shirt cloqué “Who the Fuck is Grane“” et surtout de Gutrune, mégère égotique, narcissique et parangon de trivialité. La direction d’acteur est aussi très molle à l’image de cet acte II pas franchement dirigé où les personnages vont et viennent sans autre de raison qu’animer le vaste espace du plateau.
Musicalement, le bonheur est assez faible. Dans la fosse, Cornelius Meister dirige avec efficacité et sens de la progression, mais sa direction est trop sonore et n’a pas la moindre profondeur. Elle s’accorde parfaitement avec la conception scénique et passe à côté des effets dramatiques comme dans une "Marche funèbre" atone de tension et de théâtre. Sur le papier, la distribution présentait des valeurs sûres jusque dans les petits rôles, avec rien moins qu’Okka von der Damerau (Erste Norn) ou Kista Mayer (Waltraute). Irene Theorin (Brünnhilde) parvient à assurer son rôle dans faiblir au long de la représentation, mais vocalement, on est pas ébloui par un chant finalement assez monocorde. Clay Hilley (Siegfried) est particulièrement peu gâté par les costumes, on apprécie la vaillance vocale et l’intelligence du chant mais le timbre n’est guère phonogénique. Solide routier des rôles wagnérien, Albert Dohmen (Hagen) est certes à son aise et réalise un sans faute, mais sans éclat, comme si la non caractérisation par la scénographie l'empêchait de se projeter au-delà d’une forme de routine de luxe. L’oreille n'est guère impressionnée par Michael Kupfer-Radecky (Gunther) et Elisabeth Teige (Waltraute), peu de projection, musicalité décevante et timbres peu séduisants. C'est au final du côté des petits rôles que le wagnérien trouve son bonheur : Olafur Sigurdarson (Alberich) et Kista Mayer (Waltraute), tous les deux excellents d’incarnation, de musicalité et de timbre. Les ensembles des Nornes et des Filles du Rhin sont parfaits alors que le chœur du festival de Bayreuth est, comme toujours, magistral d’homogénéité et de couleurs.
La réalisation vidéo n’est pas franchement inspirée avec ses plans larges et ses gros plans. Il faut dire que la laideur revendiquée des costumes n’aide pas à rendre esthétique une captation. Les 54 minutes de bonus annoncés sont en fait des narrations purement audio des 4 épisodes du Ring en allemand et en anglais par certains chanteurs du cast et une bande annonce du Ring en entier, disponible sur la plateforme de VOD de DGG.
La presse a fait ses choux gras du fait que Bayreuth remplissait moins facilement qu’avant… Si l’on se base sur ce Crépuscule des Dieux, il faut être un wagnérien fervent et un peu masochiste pour assister à ce Ring. Scéniquement c’est très décevant et musicalement, c’est tout de même bien en dessous de ce que la Colline sacrée devrait offrir.
Note globale : 5