Beau départ pour Opera Vlaanderen
Elektra
"Dirige Salomé et Elektra comme s'ils étaient de Mendelssohn : de la musique de fées." Tel était le conseil de Richard Strauss à un jeune chef d'orchestre en 1925. Dmitri Jurowski semble avoir parfaitement compris l'injonction amicale du Maître : à la tête d'un orchestre en grande forme, il a livré, de la partition, une lecture fabuleuse, aussi délicate que puissante, et ce dès le monologue initial d'Elektra "Allein ! Weh, ganz allein".
Le jeune chef, permanent in loco depuis 2011, est le grand vainqueur d'une magnifique soirée lyrique, qui a enthousiasmé le très nombreux public de cette première. Non, Elektra (1909) n'est pas un opéra où chanteurs et orchestre rivalisent de puissance et de force, où tout le monde crie pendant une heure et demie, mais une oeuvre d'un raffinement extrême, qui ne peut vraiment s'entendre que sous une baguette délicate et attentive, comme le fut celle de Jurowski. Comme le furent par le passé celles de Böhm, de Jochum ou, plus récemment, de Gergiev. Les chanteurs l'avaient bien compris, et avant tout, la prodigieuse Irène Theorin. Cette soprano suédoise, une Brünnhilde, Isolde ou Turandot de par le monde, s'est accaparé le rôle d'Elektra avec grande circonspection, sans hurlements aucuns, mais avec une douceur d'un calme effrayant. Le timbre est clair, la voix rayonnante, une parfaite incarnation. Deux exemples : la description de la chasse d'Oreste vers une proie encore inconnue (mais qui sera sa mère !) durant la confrontation avec Clytemnestre, était un modèle de jeu dramatique, puis l'adresse à sa soeur lorsqu'elle clame : "Orest ist tot !". La Chrysothemis d'Ausrine Stundyte, formidable Lady Macbeth de l'opéra de Chostakovitch l'an dernier, pourrait interpréter le rôle-titre : quelle présence, et quelle puissance vocale ! Cette petite soeur n'est certes pas une oie blanche, mais une jeune femme écorchée, aux blessures à vif. Quant à la Clytemnestre de Renée Morloc, mezzo impressionnante, elle a galvanisé un rôle en or, en reine mère droguée, nourrie par le sang des bêtes sacrifiées. Oreste de belle prestance, Karoly Szemerédy, beau baryton-basse, a fait impression dans la fameuse scène de reconnaissance. L'Egisthe pleutre et geignard de Michael Laurenz n'apparaît que pour mourir. Un mot sur la mise en scène de David Bösch. Très fidèle à Hoffmannstahl, elle évite tout "regietheater" pour se concentrer sur le drame grec, pur et nu. Si Elektra porte une longue robe blanche et a les cheveux épars, comme attendu, Chrysothémis est en gentil tailleur vert et blanc tout conventionnel. Un moment choc : à l'entrée de Clytemnestre, descendent en une fois des cintres des cadavres de bêtes de sacrifice, tout sanguinolents. Effet garanti. La toute dernière scène, après le meurtre d'Egisthe, ajoute à la danse folle et extatique d'Elektra, un élément dramatique qui surprendra fort. Je n'en dirai pas plus. Cette première production, augure bien de la saison nouvelle de ce qui ne s'appelle plus "De Vlaamse Opera", mais "Opera Vlaanderen". Rendez-vous à La Khovanstchina de Moussorgsky en octobre.
Bruno Peeters
Antwerpen, Opera Vlaanderen, le 12 septembre 2014