Benjamin Bernheim et Marina Viotti en tandem dans  Werther 

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La mise en scène, en apparence classique et minimaliste, de Christof Loy fait la part belle au couple Werther-Charlotte, non sans une certaine mise en exergue des côtés les plus ténébreux du personnage éponyme ainsi que des aspects les plus intimistes de la musique de Massenet.

Christof Loy a beau avoir pour langue maternelle celle de Goethe, il découvrit toutefois le personnage de Werther au travers du livret de Massenet. En résulte un traitement du personnage plus sombre et moins sympathique qu’à l’accoutumée. Dans cette scénographie signée Johannes Leiacker, tout est pourtant d’un classicisme apparent saupoudré d’un fétichisme de la symétrie. Une sorte de vestibule occupe l’avant-scène ; la quasi-totalité de l’action s’y déroulera, ce qui permettra de faire la part belle à la projection des chanteurs, donnant sur un jardin d'hiver dans lequel le jeune poète ne pénétrera que pour se suicider. L’ensemble donne l’impression d’une temporalité allongée, au-delà des quelques mois mentionnés dans le livret. Côté dramaturgie, soulignons le bon usage des passages orchestraux pour souligner l’évolution de l’intrigue, malheureusement ternie par une direction d’acteur du rôle de Werther peu crédible et assez froide dans les derniers instants, en contraste avec le reste.

Dans le rôle-titre, Benjamin Bernheim déploie son timbre à la pureté désarmante, avec une musicalité tout en délicatesse dans les phrasés, maintenant en permanence de faire varier l’intensité de la projection à sa guise, exception faite d’un « rejette dans la nuit ton fils infortuné » légèrement recouvert par l’orchestre. La longueur de souffle est impeccable, et le duo ainsi que le cuivre du timbre par moment exacerbés par des harmoniques aigus légèrement prédominants par passage. Dans « Pourquoi me réveiller », les aigus apparaissent outrageusement aisés et le ténor nous offre un moment d’une intensité musicale rare, serti d’une très bonne longueur de phrasé, et est logiquement particulièrement ovationné.

La Charlotte de Marina Viotti relève toutefois le gant des duos avec succès. On la connaissait virtuose technique dans les rôles rossiniens et rompue à davantage de styles et techniques vocaux que la majorité des chanteurs lyriques, on découvre toutefois une maîtrise des ruptures de ton étonnante, permettant d’assener des changements d’ambiances particulièrement efficaces en une poignée de secondes, parfois même en une seule phrase. L’articulation est fort claire, le timbre large et chaud — y compris dans les graves de l’ambitus du rôle — et la tessiture dramatique. Les phrases longues sont abordées avec une intelligence musicale remarquée, particulièrement dans les piani, la présence scénique ainsi que l’investissement dramatique sont particulièrement saillants. Le troisième acte lui offre l’opportunité de déployer de magnifiques tenues de lignes de chant, ainsi que de superbes piani distillés avec une émotion palpable. En dehors d’une légère baisse de la clarté de l’articulation dans les fortes, on ne saurait guère trouver de point d’amélioration manifeste.

En Sophie, Sandra Hamaoui déploie une tessiture dramatique ainsi qu’un timbre brillant, bien que la projection soit légèrement en deçà en fin de phrase longue lorsque la diction est rapide. Le troisième acte laisse entrevoir une agilité technique à la naturalité remarquée. Pour lui répondre, le bailli de Marc Scoffoni fait état d’une très bonne mise en place rythmique et la tessiture légère ainsi que la rondeur du timbre n’empêchent pas de conserver de fort bonnes clartés de voyelle et d’articulation ainsi qu’une projection parfaitement dosée. Le Schmidt de Rodolphe Briand laisse entrevoir la double carrière de son interprète : la tessiture est légère et l’accent mis sur la diction rend le rendu parfaitement intelligible. À l’inverse, le Johann de Yuri Kissin déploie lui un timbre plus rond et large, mais à l’articulation moins claire. Ces différences vocales n’empêchent toutefois guère la synergie du duo.

Jean-Sébastien Bou, finalement, campe un Albert touchant, à la très bonne clarté de voyelle malgré une rondeur quasi exacerbée du timbre, qui pénalise quelque peu l’intelligibilité du texte. La projection est bonne, mais le timbre tend à se voiler légèrement dans les piani. Soulignons également la présence scénique du rôle, plus prépondérante, particulièrement dans le quatrième acte durant lequel il se retrouve prisonnier de son propre stratagème pour évincer Werther de son mariage

Au pupitre des Siècles, Marc Leroy-Calatayud livre un rendu aux allures de kaléidoscope. Si l’ouverture est relativement nette, avec des attaques de cordes relativement âpres, nonobstant l’accordage exclusivement sur boyau, c’est surtout la capacité à dépeindre les ambiances et leurs évolutions qui impressionne dans le rendu orchestral. Au-delà, la direction rappelle que la musique de Massenet est avant tout une musique de nuance, qui ne peut prendre toute son ampleur qu’avec un minimum d’intimisme — point qui explique certainement les limites musicales de tous les Massenet donnés à Bastille ces dernières années. Très dynamique lorsque la partition l’impose, et offrant toujours de fort bons reliefs, la nervosité bienvenue dans l’accompagnement des dialogues amène un rythme bienvenu. Le chœur d’enfants de la Maîtrise des Hauts-de-Seine se distingue par la grande clarté de son rendu ainsi que sa bonne mise en place globale.

Au vu de ce qu’il a été exposé sur la beauté intimiste de Massenet, l’on ne pourra hélas que déplorer les nuisances sonores dont se rend coupable l’auditoire du TCE. Entre un trio de sonotones mal réglés sonnant le glas de toute beauté des silences et polluant sérieusement les piani d’une part, et les quintes de toux de confort d’autre part, le public n’aura eu ce soir pour principal ennemi de son émotion que lui-même.

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 25 mars 2025

Axel Driffort

Crédits photographiques : © Vincent Pontet

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