Bertrand Chamayou célèbre les 150 ans de Ravel par un hommage kaléidoscopique 

par

Fragments. Maurice Ravel (1875-1937) : Extraits de Daphnis et Chloé, La Valse, transcriptions de Maurice Ravel ; Trois Beaux Oiseaux du paradis, Chanson de la mariée, Pièce en forme de habanera, transcriptions de Bertrand Chamayou. Joaquín Nin (1879-1949) : Mensaje a Ravel. Salvatore Sciarrino (°1947) : De la nuit. Alexandre Tansman (1897-1986) : Prélude n° 5 (Hommage à Maurice Ravel). Frédéric Durieux (°1969) : Pour tous ceux qui tombent (Hommage à Maurice Ravel). Ricardo Viñes (1875-1943) : Menuet spectral (à la mémoire de Maurice Ravel). Xavier Montsalvatge (1912-2002) : Elegia a Maurice Ravel. Betsy Jolas (°1926) : Signets (Hommage à Ravel). Arthur Honegger (1892-1955) : Hommage à Ravel, extrait des 3 Pièces. Bertrand Chamayou, piano. 2024. Notice en français, en anglais et en allemand. 61’ 17’’. Érato 5021732601230.

Bertrand Chamayou a travaillé au Conservatoire de Paris avec Jean-François Heisser, un élève de Vlado Perlemuter, qui fut proche de Ravel. Il y a une dizaine d’années, il signait, déjà pour Érato, une intégrale de la musique pour piano seul de Maurice Ravel, dont on avait aimé, entre autres qualités, la maîtrise technique, la lisibilité et le souci des détails. Dans la notice qu’il signe lui-même, Chamayou précise qu’il avait alors laissé de côté l’un ou l’autre inédit, des travaux d’étudiant et des pages de jeunesse, ainsi que des transcriptions de la main du compositeur. Sous le titre Fragments, qui évoque la brièveté, Il réunit ici des pages adaptées par Ravel, d’autres qu’il a arrangées lui-même, ainsi qu’un florilège d’hommages par huit compositeurs, du temps de Ravel jusqu’à notre époque. Tout cela forme un kaléidoscope riche et original que Chamayou domine avec facilité et un sens affirmé des différents climats. On y retrouve les qualités énoncées pour caractériser l’intégrale de 2015. 

Transcrits par Ravel lui-même, Chamayou propose plusieurs moments issus de Daphnis et Chloé. On retrouve les sensations presque picturales de l’œuvre symphonique, avec son lyrisme sensuel, sa dimension mystérieusement raffinée et cette ivresse qui naît de la mise en évidence de la lumière et de l’esthétique liée aux rythmes. Le pianiste y insuffle une vie intense, qu’il porte à son comble dans La Valse, version solo impressionnante et envoûtante de virtuosité, à la sonorité généreuse, mêlée à un parfum d’irréalité qui lui confère une aura où la tension est permanente. Chamayou apporte sa propre contribution en transcrivant des mélodies : les Trois beaux oiseaux du paradis, tirés des 3 Chansons de 1915, écrites en temps de guerre, la Chanson de la mariée, l’une des 5 Mélodies populaires grecques de 1904/06, et l’obsédante Pièce en forme de habanera de 1907. Ce sont de petites pièces suggestives et expressives, jouées avec un raffinement sans ostentation.

L’idée d’intercaler, entre les pièces ravéliennes, une série d’hommages lui adressés par d’autres compositeurs, au fil des années, est ingénieuse. Nous faisons nôtres les termes utilisés par Chamayou pour caractériser les accents hispaniques du Mensaje de Joaquín Nin, la douceur énigmatique de l’Elegia de Xavier Montsalvatge, le néo-classicisme lumineux d’Arthur Honegger, ou les cloches envoûtantes d’Alexandre Tansman. Il s’agit, à chaque fois, de brefs morceaux dont l’entrelacement avec les pages ravéliennes crée un climat de complicité, qui trouve, dans le Menuet spectral de 1938 de Ricardo Viñes, proche du compositeur, l’émotion la plus profonde suscitée par la disparition de son ami.

Une belle place est réservée aussi à des pages plus contemporaines. Elles sont signées Betsy Jolas, qui utilise dans Signets des motifs de la fantasmagorie de Gaspard de la nuit, ou Frédéric Durieux, qui a étudié avec Betsy Jolas et Ivo Malec, et livre en 1997, dans Pour tous ceux qui tombent, un message au climat glacial et blafard qui fait allusion au Gibet. De son côté, le Sicilien autodidacte Salvatore Sciarrino offre, en 1971, un impressionnant collage de plus de six minutes qui, comme l’explique Chamayou, met bout à bout des bribes d’« Ondine » et de « Scarbo », se jouant de notre mémoire et nous donnant l’impression d’une hallucination

Ce programme original et inédit, conçu avec imagination, est joué par Chamayou avec une fluidité que l’on trouvait déjà dans son intégrale, à savoir une dimension pointilliste, mêlée à une clarté des lignes et un souci des détails. Une belle manière de saluer cette année dédiée au souvenir de Ravel.

Son : 9    Notice : 9    Répertoire : 10    Interprétation : 10

Jean Lacroix        

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