Bruno de Sá : entre baroque et pré-romantisme
« Mille Affetti ». Airs de Cherubini, Mozart, Beck, Caruso, Seydelmann, Reichardt et autres compositeurs. Bruno de Sá, sopraniste. NFM Choir, Wrocław Baroque Orchestra, direction : Jarosław Thiel. 2024 Livret en anglais, français, allemand- chanté en italien, allemand et latin. 85’00. ERATO 5054197995422
Couverture et pochette laissent perplexe : visage barbu, regard halluciné ou paupières closes, bouche ouverte ou fermée sous des ruissellements d’eau... Les intentions des concepteurs de la maquette restent confuses. Le choix du titre « Mille affetti » (« Mille tourments ») serait-il plus explicite ? Extrait de l’opéra de Luigi Caruso (1754-1823), Il fanatico per la musica », le héros Lindoro décline toutes les facettes du désespoir. En réalité, l’ensemble du programme dégage un climat moins noir incluant des pièces sacrées telles l’Exultate, jubilate de Mozart, le Salve Regina de Zingarelli ou le Requiem de Cimarosa. C’est que, comme le confie Selim dans Il turco in Italia de Franz Seydelmann (1748-1806), « la souffrance est douce ». Compositeur et chanteur de Dresde passé par l’école italienne, ce dernier illustre à lui seul la vitalité des paradoxes baroques. Il en est de même pour le napolitain, Luigi Caruso qui parcourut l’Europe pour mettre en scène ses opéras après avoir été maître de chapelle à Pérouse. Un tel éclectisme peut déconcerter, il fait aussi l’intérêt d’un répertoire que Bruno de Sá qualifie de « classique» - et qui relèverait plutôt du baroque tardif ou du pré-romantisme.
Certains extraits célèbres en côtoient d’autres plus rares et s’enrichissent même de plusieurs premiers enregistrements mondiaux. « Deh ! Soccori, o padre il filio » extrait d’Andromeda de Reichardt est ainsi présenté pour la première fois au disque comme « Girate quel guardo » Il turco in Italia de Franz Seydelmann (1748-1806) ou le Salve Regina de Nicolo Antonio Zingarelli (1752-1837) dont le verset« O Clemens, O pia » touche par son intériorité. Enfin, l’air final « Se possono tanto due luci vezzose » extrait d’Alessandro nell’Indie d’Alessandri et, plus encore, l’« Ad te suspiramus » du Salve Regina précité séduisent par leur gracilité.
L’Allegro d’Il Tobia de Josef Myslivecek permet au Wroclaw Baroque Orchestra fermement dirigé par Jaroslaw Thiel de souligner la parenté du tchèque Josef Myslivecek (1737-1781) avec Mozart très bien servi par le programme.
Le deuxième attrait du disque réside bien sûr dans les qualités vocales exceptionnelles de l’interprète. Habituellement, le terme de « sopraniste » s’applique à de jeunes garçons avant la mue ou à des castrats disposant d’une tessiture de soprano. Les castrats ayant disparu, la référence aux voix de jeunes garçons ne suffit pas à rendre compte de la singularité de celle du chanteur brésilien. En effet les dons, la sensibilité, le geste musical aussi pensé que déterminé, mettent en valeur la beauté d’un timbre nacré à l’orient pur et changeant. L’agilité propre aux voix légères rejoint par ailleurs celle de certaines sopranos coloratures. Toutefois il arrive que les ornements (Mesenzio, re d’Etruria de Luigi Cherubini, Exultate de Mozart) n’existent que pour eux-mêmes et que la substance vocale s’appauvrisse (« Ad te clamamus » du Salve Regina de Nicolo Antonio Zingarelli) en particulier dans le medium. Un tel talent gagnerait à s’enrichir de sa complexité même, comme de ses limites, non pas pour les vaincre - ce qu’il fait déjà très bien- mais pour les mettre au service d’une vérité expressive plus humaine. A la charnière de ces époques contrastées qui s’imbriquent et se chevauchent, s’ouvre en effet un espace de liberté d’interprétation dont l’exploration ne fait que commencer.
Son 9 - Livret 9 - Répertoire 10 – Interprétation 9
Bénédicte Palaux Simonnet