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A Genève, un BBC Symphony Orchestra faramineux 

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Dans le cadre de sa 75e saison, le Service Culturel Migros invite le BBC Symphony Orchestra qui, sous la direction du chef finlandais Sakari Oramo, présente l’intégrale des symphonies de Sibelius en la partageant entre trois villes, Genève, Zurich et Berne, avec un programme différent pour chacune des salles. 

Ainsi, à Genève, le 14 janvier, l’affiche comporte les Symphonies n.3 et 1. L’opus 52 en ut majeur a été longuement élaboré entre 1904 et 1907 et surprend par son classicisme formel en trois mouvements imprégné de lumineuse sérénité, ce qui lui a valu la désignation de ‘Pastorale du Nord’. Dès les premières mesures de l’Allegro moderato, l’auditeur reste pantois devant la magnifique sonorité produite par l’ensemble des pupitres du BBC Symphony Orchestra. Sous la baguette de Sakari Oramo, les lignes de force sont taillées à coups de serpe mais font sourdre des cordes graves un cantabile qui se déroule naturellement, tout en se laissant gagner par d’épisodiques tensions qui se résorbent en pianissimi impalpables. L’Andantino con moto est parcouru par d’étranges inflexions émanant du pizzicato appuyé des cordes sous le legato des vents, alors que le Final est emporté par une houle déferlante zébrée de fulgurants éclats que tempère l’élévation hymnique des cordes provoquant un gigantesque crescendo jusqu’à la grandiose péroraison.

Le Tchèque Jan Novák honoré par l’authenticité familiale

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Jan Novák (1921-1984) : Concentus biiugis pour piano à quatre mains et orchestre à cordes ; Choreae vernales, pour flûte, orchestre à cordes, harpe et célesta ; Concerto pour deux pianos et orchestre. Dora Novak-Wilmington et Karel Košárek, pianos ; Clara Nováková, flûte ; Orchestre symphonique de la Radio de Prague, direction Tomáš Netopil. 2022. Notice en anglais, en allemand, en français et en russe. 71’ 46’’. Supraphon SU4331-2. 

Musique de chambre de Nino Rota, entre élégance, charme et exubérance

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Nino Rota (1911-1979) : Sonate pour violon et piano ; Improvviso en ré mineur pour violon et piano ; Improvviso pour violon et piano (Un diavolo sentimentale) ; The Legend of Glass Mountain, musique de film, arrangement pour violon et piano ; Sonate pour flûte et harpe ; Trio pour flûte, violon et piano. Alessio Bidoli, violon ; Bruno Canino, piano ; Massimo Mercelli, flûte ; Nicoletta Sanzin, harpe. 2019. Notice en italien, en anglais et en russe. 57’ 21’’. Decca 4819147.

Frank Peter Zimmermann et Martin Helmchen en récital monégasque

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Frank Peter Zimmermann et Martin Helmchen poursuivent leur projet avec l'intégrale des sonates pour violon de Johannes  Brahms et de Béla Bartók.  Ce duo n'attire pas la foule, mais les concerts  sont suivis fidèlement par un public de connaisseurs exigeant, heureux d’entendre ces deux artistes d’exception. Les deux hommes forment un duo parfait :  ils respirent ensemble, vivant le dialogue chambriste au sommet et atteignant une évidence ou tout coule de source. On peut lister les points de satisfaction : même style, virtuosité égale et goût musical parfait. Tout phrasé s’avère magnifique et témoigne d'un contrôle total jusqu'au moindre détail. 

Le récital commence par la Sonate n°1 op.120 écrite originalement pour clarinette ou alto et piano. Zimmermann la joue dans une transcription pour violon. Le mouvement lent est un pur joyau et Zimmermann fait chanter son violon avec des teintes sombres empreintes de nostalgie et de poésie. La première sonate pour violon et piano de Béla Bartók est dédiée à la violoniste Jelly d'Arányi. Cette partition anguleuse et moderniste, presque orchestrale par la violence des chocs musicaux, est magnifiée par les deux artistes qui lui donnent une profondeur et une ampleur dramatique inégalée. 

Après l'entracte, Frank Peter Zimmermann et Martin Helmchen jouent le "scherzo" de la Sonate F-A-E  de Brahms. Alors que beaucoup de musiciens jouent ce "scherzo" avec précipitation et tension, ils nous offrent une version cathartique et significative. La musique passe définitivement en premier, et pas seulement la performance.

La Esmeralda… de Louise Bertin, vraiment ?

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De ce spectacle prétendument présenté comme étant « opéra de Louise Bertin », on sort déboussolé.

L’œuvre est devenue un spectacle pêle-mêle dans lequel tout se mélange sans que l’on comprenne pourquoi ni comment.

L’œuvre est composée en 1836 sur un livret de Victor Hugo, par la fille du directeur du puissant Journal des débats, Louis-François Bertin dit Bertin aîné (dont Ingres a fait un magistral portrait en 1832 qui se trouve aujourd’hui au Louvre). Dans sa demeure à Bièvres, à proximité de Paris, il tenait un salon littéraire qui réunissait de nombreux jeunes artistes prometteurs, parmi lesquels Gounod, Liszt, Berlioz (qui écrivait pour ce journal d’importantes critiques musicales), Chateaubriand, et bien sûr, Hugo. L’enregistrement réalisé à l’occasion de la représentation en version de concert donnée sous la direction de Lawrence Foster, au Festival de Montpellier en 2008, montre son écriture originale qui tmoigne avec éloquence de son talent particulièrement florissant.

Mais hélas ! La metteuse en scène Jeanne Desoubeaux a tellement transformé l’œuvre qu’on la reconnaît à peine. Déjà, à l’ouverture, avec une interminable « fête infâme » en rave party avec un défilé grimaçant (imitation de gargouilles ?) sur une musique électronique enregistrée (Gabriel Legeleux) dans une sonorisation à casser l’oreille (François Lanièce) et sous des lumières agressives (Thomas Coux), on se demande à quel spectacle on va assister. Et on vérifie si on a bien lu sur le programme « opéra de Louise Bertin »… Le mélange d’époques dans les costumes (Alex Costantino) et dans la scénographie (Cécile Trémolières) aurait pu refléter une lecture transversale intéressante, mais l’absence de cohérence et la vulgarité de certaines scènes ne font qu’accentuer le sentiment de confusion totale. Si la rosace et une colonne avec chapiteau (qui sont beaux en soi) et l’échafaudage des chantiers qui symbolisent la Cathédrale d’hier et d’aujourd’hui, la généralisation de la lecture est telle qu’on peut à la limite se passer de Notre-Dame, ce qui est fort dommage.

Turandot des grands soirs à l’Opéra de Paris

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Il est de ces moments magiques où l’opéra est ce qu’il doit être : union des arts, poésie, chant, lumières, musique, décor. La mise en scène de Robert Wilson, créée en 2018 à Madrid et en 2021 à Paris, aurait pu ressembler à toutes celles qu’il a signées depuis plus de 50 ans. La stylisation, le raffinement esthétique (armures antiques) charment naturellement l’œil mais il se passe quelque chose de plus.

Chaque attitude, variation d’intensité lumineuse, apparition ou éloignement des protagonistes, occupant l’espace scénique dans sa triple dimension, prend un sens précis et exprime une émotion. Ce qui était moins évident il y a trois ans : la scène « joue » littéralement la partition en osmose avec l’orchestre.

A la tête d’une formation nationale très en verve, le chef Marco Armiliato, sollicité sur les scènes les plus prestigieuses, livre ici une lecture aussi limpide que vivante du testament inachevé de Puccini. D’un geste sensible, d’une battue enlevée, il s’attache à mettre en valeur les subtilités et les audaces d’une orchestration qui faisaient jubiler Ravel, tout en dessinant de grandes orbes dramatiques parfaitement conduites.

L’attention aux chanteurs atteint une telle intensité que le public, sous le coup de l’émotion, semble parfois s’arrêter de respirer. Ainsi de l’intervention de Liu (Ermonela Jaho aux « messa di voce » sur le fil de la voix) lorsqu’elle commence tout en douceur son aria du premier acte Signore ascolta puis se sacrifie au dernier.

Philippe Chamouard, l’art du concerto 

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Philippe Chamouard (né en 1952) : Concertino pour violon et orchestre ; Concerto pour basson et orchestre ; Concerto nocturne pour trompette et orchestre. Eric Aubier, trompette ; Svetlin Roussev, violon ; Giorgio Mandolesi, basson. Orchestre symphonique de Douai, Jean-Jacques Kantorow. 2023. Livret en français et anglais. 53’34’’. Indésens Calliope Records. IC013. 

Novo Quartet remporte la section quatuor à cordes du 77e Concours de Genève

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À l’issue de l’épreuve finale des quatuors à cordes du 77e Concours de Genève, le dimanche 29 octobre à Victoria Hall, le Novo Quartet (Danemark) a obtenu le premier prix, alors que le Quartett Hana (Allemagne) et le Quatuor Elmire (France) ont partagé le 2e prix.

Quartett Hana se présente en premier lieu pour interpréter le Quatuor à cordes n°3 en majeur, op. 44-1 de Mendelssohn. Dès les premières notes, il fallait bien tendre l’oreille pour entendre les quatre instruments qui ne sonnent pas suffisamment, contrairement à l’énergie très visiblement déployée par les musiciens. Est-ce à cause de l’acoustique de la salle ? Ou de la place que nous occupions au parterre ? Leur jeu très est bien mis en place sans aucune faute, les notes sont toujours justes et le tempo presque métronomique. Mais nous sommes restés sur notre faim notamment à cause de peu de changement de caractère, d’humeur, et de registre sonore.

Le Quatuor Elmire fait preuve d’une idée musicale originale et réfléchie, dans le Quatuor à cordes n°8 en mi mineur, Op. 59-2, « Razumovsky » de Beethoven. Dès les accords initiaux, ils mettent l’accent sur la pause comme une interrogation philosophique. Leur manière de jouer semble se rapprocher à maintes reprises d’un jeu baroque, en s’ajustant en fonction d’une écoute mutuelle constante, d’où quelques flottements quant à la hauteur de note. Mais cela rendait l’interprétation bien propre à eux, avec une affirmation sortant des sentiers battus. Le deuxième mouvement est caractérisé par une flexibilité, tels des flux d’ondes : des crescendi et descresciendi comme des dilatations et dégonflements organiques. Toutefois, l’impression de prudence permanente empêchait de nous éclater émotionnellement au rythme de la musique, jusqu’au final qui ne s’emporte pas tout à fait.

Yibai Chen et le BNO à Bozar

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Ce samedi 21 octobre, c’est un beau programme que nous a proposé le Belgian National Orchestra, placé sous la baguette de Hugh Wolff. En première partie, nous avons pu entendre le Divertimento for string orchestra de Grażyna Bacewicz ainsi que le Concerto pour violoncelle et orchestre n°1, op.107 de Dmitri Chostakovitch. En deuxième partie, les musiciens du BNO ont interprété la Symphonie n°3, op.55, « Eroica » de Ludwig van Beethoven.

Composé en 1965 par l’artiste polonaise Grażyna Bacewicz, le Divertimento for string orchestra fut une belle entrée en matière pour les cordes du BNO. Divisée en trois parties, cette pièce fut surtout l’occasion d’observer la direction chirurgicale du chef américain. Claire et précise, sa battue ne laisse place à aucune ambiguïté, ce qui rend le rapide dialogue entre les pupitres (leitmotiv de cette œuvre) très lisible.

Après cette mise en bouche, nous avons eu la chance d’entendre le lauréat du Concours Reine Elizabeth 2022, Yibai Chen, dans le Concerto pour violoncelle et orchestre n°1, op.107 de Chostakovitch. Avec une aisance et une virtuosité impressionnantes, le soliste du jour a survolé l’œuvre d’un bout à l’autre, bien soutenu par l’orchestre. Pour citer les moments les plus poignants, il y a eu le passage entre le corniste (particulièrement inspiré tout au long du concert) et le soliste lors de l’arrivée du 1er thème du 2e mouvement, la coda de ce mouvement avec l’entrée du célesta, la cadence du 3e mouvement ainsi que le final du 4e mouvement. Attentif au moindre geste du chef Hugh Wolff, les musiciens du BNO ont livré une prestation sans faute, si ce n’est un malheureux décalage de son et de style entre les timbales et le reste de l’orchestre.