Au Concert

Les concerts un peu partout en Europe. De grands solistes et d’autres moins connus, des découvertes.

Le Feest Concert du Netherlands Philharmonic au Concertgebouw d’Amsterdam

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Le Feestconcert a lieu chaque année, juste avant Noël. C’est une tradition du Netherlands Philharmonic Orchestra (NedPhO) instituée par le regretté Yakov Kreizberg, qui en a été le directeur musical de 2003 à 2011.

Décorée de fleurs rouges de la même couleur que ses sièges, la splendide Grande Salle du Concertgebouw d'Amsterdam brille de tous ses feux. Dans les tenues de certaines musiciennes, il n’y a pas seulement le noir (et éventuellement le blanc) de rigueur, mais aussi de l’or et de l’argent. La fête peut commencer.

Dans cette salle mythique, le chef d'orchestre arrive par le haut de la salle, derrière l’orchestre et face au plus gros du public, et il a une quinzaine de marches à descendre, entre l’imposant Grand Orgue et cette petite partie du public qui est installée ici, avant d’atteindre les dernières rangées de musiciens, et de traverser l’orchestre pour rejoindre son pupitre. C’est assez théâtral.

Bien que sans entracte, ce concert était en deux parties distinctes : une première consacrée à l’opéra français et italien, et une deuxième sous le signe de la musique latine.

Pour commencer, l’exubérante ouverture de Rouslan et Ludmila du Russe Michail Glinka (1804-1857). Malgré un tempo très rapide, la précision et le velouté des cordes demeurent, et les musiciens semblent s’enivrer de cette virtuosité.

Lorenzo Viotti prend la parole, pour dire sa joie de diriger ce concert. Il propose au public de pleurer, de rire, de danser. « C'est la liberté totale ce soir ! ». Et il présente la soprano française Julie Fuchs qui est, avec le ténor mexico-américain Joshua Guerrero, l’une des deux têtes d’affiches de la soirée.

Elle fait son entrée, par le même chemin. Sa première intervention sera pour l’air Je veux vivre extrait du Roméo et Juliette du compositeur français Charles Gounod (1818-1893). Son aisance vocale est remarquable, et son timbre d’une richesse irradiante. Le cor anglais trouve une sonorité qui s’accorde bien avec la voix de Julie Fuchs. Son contre-ut de la fin déchaîne l’enthousiasme du public. Il faut dire que c’est là une valse tellement bien écrite pour la voix !

L'anniversaire de William Christie

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HAPPY BIRTHDAY BILL -
TEA TIME -
Avec :
Gwendoline BLONDEEL -
Juliette MEY -
Paul AGNEW -
Theotime LANGLOIS DE SWARTE -
Myram RIGNOL -
Marie VAN RHIJN -
Les Arts Florissants -
A l Amphitheatre de la Cite de la Musique -
Le 14 12 2024 -
Photo : Vincent PONTET

Un concert Tea time à la française

Dans le cadre de sa série de concerts mettant en valeur des instruments historiques conservés au Musée de la Musique la Cité de la musique - Philharmonie de Paris, l’institution propose un concert « tea time » à 16 heures dans le cadre de l’anniversaire des 80 ans de William Christie qui correspond à 45 ans des Arts Florissants. Le rendez-vous est porté par Paul Agnew, entouré d’artistes de la jeune génération qui, en ce moment, font partie du noyau central de de l’Ensemble. Si l’heure du thé évoque une tradition profondément ancrée dans la culture britannique, ce programme rend hommage à la musique française des XVIe et XVIIe siècles.

Dans un bocage

Lors des concerts des Arts Florissants dirigés par Paul Agnew, un rituel bien établi consiste à introduire le programme par un bref discours d’Agnew lui-même. Fidèle à cette tradition, le ténor et chef écossais nous propose, cet après-midi, de nous imaginer dans un bocage imaginaire, quelque part en France, aux alentours des années 1670 ou 1680.

Au fil du programme, des jeux d’amour prennent vie dans ce petit bois enchanteur. À travers les œuvres de Michel Lambert (Trouver sur l’herbette, Par mes chants tristes et touchants, Amour, je me suis plaint cent fois, Ma bergère est tendre et fidèle, Bien que l’amour fasse toute ma peine, Il est vrai qu’amour a ses peines), de Marc-Antoine Charpentier (Sans frayeur dans ce bois), et de compositeurs anonymes (Non, non, je n’irai plus au bois seulette, J’avais cru qu’en vous aimant, Sur cette charmante rive), se dessinent les aventures sentimentales de la bergère et du berger. Douceur, surprise, douleur, détresse et plaintes amoureuses rythment leur parcours.

Un Noël en musique au château de Fontainebleau avec l'ensemble Balthazar Neumann

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Depuis 2020, l’orchestre et le chœur Balthazar Neumann, sous la direction de leur fondateur Thomas Hengelbrock, sont en résidence au château de Fontainebleau. Du 13 au 15 décembre dernier, ils ont donné une série de concerts de Noël dans deux lieux emblématiques : la chapelle de la Trinité et la salle du Bal. Ces espaces, offrant une acoustique exceptionnelle, ont accueilli des œuvres allant du premier baroque italien aux compositions des XIXe et XXe siècles.

Ars Musica 2024 : des semences entre les pavés

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Urban Nature, c’est le thème du festival Ars Musica, dont le compte-rendu des concerts que j’ai pu voir arrive avec le décalage fomenté par une infection respiratoire plus résistante qu’un poilu de tranchée.

Samedi, c’est Satie ça te dit ?

Je démarre ma pérégrination biennale par une incursion aux Brigittines pour le concert de François Mardirossian, auquel je tiens d’autant plus que j’ai apprécié son (double) album Satie et les Gymnopédistes, paru il y a peu chez Ad Vitam : là comme sur la scène de la chapelle, le jeune pianiste, enjoué (il raconte, décrypte, empoche le public) et doué (un jeu souple et vivant, aux humeurs manifestes) parcourt le répertoire du compositeur d’Arcueil, une musique minimaliste avant l’heure, aux mélodies claires et aux harmonies dépouillées, aux titres d’un humour excentrique, une musique innovante et aux atmosphères évocatrices -Gymnopédies et Gnossiennes, bien sûr, mais aussi la New Gnossienne n° 1 de Gavin Bryars (un fan du Français, qu’il a contribué à faire connaître au Royaume-Uni), fruit d’une commande du festival Superspectives, ou la Danse pour un enterrement n° 2 de Claire Vailler, création imaginaire d’une pièce dont Satie n’a laissé que le titre. La salle est pleine, ravie et découvre, en bis, Listen To The Quiet Voice, morceau solennel et désarmant du regretté Dominique Lawalrée, compositeur et collaborateur de Crescendo-Magazine que Mardirossian s’acharne, dans un plaisir partagé, à faire émerger de l’obscurité.

La ville, c’est en Amérique du Nord

La même soir, à Bozar, le programme du concert d’ouverture d’Ars Musica, confié au Belgian National Orchestra dirigé par Antony Hermus, surprend : fougueux, populaire, nord-américain d’un bout à l’autre, puisant sur plus d’un siècle de répertoire. Pourquoi pas, sauf que l’ardeur du premier mouvement, Lex, de la Metropolis Symphony de Michael Daugherty (une ode aux cinquante ans de Superman – Lex Luthor est son ennemi juré – par un habitué des Grammy Awards), aux sifflets à bille énergiques martelant un rythme de course poursuite urbaine, cache difficilement l’ambiguïté du populaire -un terme qui désigne une musique accessible et appréciée d’un public large, mais aussi si limpide qu’elle manque des défis qu’une audience vigilante attend d’une musique « nouvelle ». Je me perds dans une orchestration qui se veut complexe mais que j’entends touffue, si contaminée par ses emprunts au jazz, au funk ou au rock, que je la reçois comme une pâtée disgracieuse où l’effet, à chaque tournant, l’emporte.

La Canadienne Keiko Devaux, élève de Salvatore Sciarrino (et boxeuse), s’en sort bien mieux, qui propose, avec Fractured Landscapes, une pièce superposant tradition et modernité, juxtaposant moments de tension/résolution et clusters mouvants, textures bruitées et tonalités pures, image de l’incessante adaptation du vivant (ici, les végétaux qui densifient leurs graines pour améliorer l’efficacité reproductive de leur chute) aux environnements urbains -une manière de survivre, bien sûr, mais aussi de façonner le paysage de la ville-, dialogue éclairé entre l’Urban et la Nature.

Le Concerto pour deux pianos et orchestre de Philip Glass, confié à Katia et Marielle Labèque, qui l’ont créé en mai 2015 à Los Angeles (une étape parmi de multiples collaborations), est un moment attendu : tant le compositeur américain que les pianistes françaises ont pris soin, lors de leurs carrières respectives (et presque aussi longues), de ne pas s’enfermer dans un répertoire -le premier fraye avec Steve Reich aussi bien qu’avec Patti Smith ou Aphex Twin, les secondes interprètent György Ligeti, Luciano Berio ou Pierre Boulez (« jouer de la musique contemporaine est une façon de rester vivante, de rester avec son époque ») comme du baroque ou de la musique expérimentale. La pièce, ambitieuse, a les épaules larges, ne manque ni d’emphase ni de puissance, mais le premier mouvement tripatouille, on n’est pas en place, c’est brouillon, on entend mal le doublement des figures des pianistes par les sections de l’orchestre, la continuité de la ligne mélodique ou rythmique, la tension sur scène est palpable -piquant alors que l’approche de Glass quant au concerto s’est peu à peu éloignée du soliste héroïque qui vainc l’orchestre pour aller vers une conception dans laquelle l’orchestre devient une extension du soliste-, avant un ajustement progressif qui sauve les deux mouvements suivants et rend aux sœurs Labèque la fluidité virtuose de leur jeu.

Je ne sais que penser du déferlement sonore de Play - Level 1, d’Andrew Norman, où le tapageur le dispute au tumultueux : lui y voit un débordement d’idées (sur la technologie, le libre arbitre, Internet, le drone guerrier, le jeu vidéo…) quand j’y entends un borborygme sans tête.

Entre An American in Paris et Central Park in the Dark, de deux compositeurs également imbibés de l’atmosphère de la ville tentaculaire aux innombrables taxis jaunes, je préfère de loin la pièce de Charles Ives : dans cet exemple précoce (1906) de collage musical, le compositeur hume la nuit du grand parc new-yorkais, là où nature placide et ville excitée cohabitent comme elles peuvent, partagées entre calme (les cordes, répétitives et hypnotiques) et chaos (les fragments de mélodies populaires, les klaxons) ; dans une esthétique qui allie jazz américain et musique classique européenne (le saxophone, les trompes des taxis, les syncopes, les blue notes), réussie mais à laquelle je n’ai jamais accroché, George Gershwin, né à Brooklyn et travaillant à Tin Pan Alley, le quartier des éditeurs de musique, raconte, en 1928, ses expériences de la vie parisienne : le BNO se donne dans ce poème symphonique coloré et effervescent, enchaînant les sections dans un flux ininterrompu.

A Genève, Le Messie par Gli Angeli

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Depuis plusieurs années, l’Ensemble Gli Angeli et son chef Stephan MacLeod ont l’habitude de présenter une fois ou deux durant le mois de décembre au Victoria Hall de Genève,  Messiah, l’oratorio le plus célèbre de Georg Friedrich Haendel. 

Dans un esprit chambriste qui relègue aux oubliettes les cérémonieuses lourdeurs attachées à une esthétique passéiste, Stephan MacLeod s’ingénie à assouplir le canevas orchestral qui ne comporte que vingt-et-un instrumentistes, alors que l’ensemble vocal inclut treize chanteurs, d’où émanent les quatre solistes. Par les premières phrases de son accompagnato (ou récitatif) « Comfort  ye », le ténor anglais Thomas Hobbs impose un art de la déclamation et un timbre clair qui lui permet de négocier avec aisance les passsaggi rapides de son air « Ev’ry valley shall be exalted », avant de se remettre dans les rangs pour le chœur jubilatoire « And the glory of the Lord ». D’emblée, l’on y admire l’équilibre des registres qui fait merveille dans les parties fuguées du N.7 « And he shall purify » et du N.12 « For unto us a Child is born ». Intervient ensuite le jeune alto William Shelton qui, dans ses airs « But who may abide » et « O thou that tellest good tidings to Zion », exhibe un aigu qui a une certaine assise sur un grave guttural, mais un medium sourd par manque de consistance. Comme à l’accoutumée, Stephan MacLeod laisse au premier violon Eva Saladin le soin de mener l’ensemble et se tourne vers le public pour livrer les soli de basse avec ce coloris granitique qu’il rend ô combien expressif dans son air « The people that walked in darkness ». Le choeur n.17 « Glory to God in the highest » permet aux deux trompettes de se jucher dans l’une des niches du balcon, tandis que Sophie Junker  fait valoir son soprano fruité dans le célèbre « Rejoice greatly » où elle démontre une aisance notoire dans l’exécution des traits de coloratura. Et le legato qu’elle développe dans le duetto « He shall feed his flock » entraîne dans son sillage la voix d’alto qui se stabilise, lui concédant, dans la deuxième partie, d’ornementer le da capo du tragique « He was despised ». Le chœur est le continuel vecteur de l’intensité dramatique,  réussissant  même à bannir l’éclat factice du célèbre Hallelujah abordé à tempo moderato.

Dans la troisième partie, Sophie Junker joue la carte de l’émotion dans l’air « I know that my Redeemer liveth », alors que la basse Stephan MacLeod impressionne par le ton péremptoire qu’il prête à « The trumpet shall sound ». Et le choeur fugué « Worthy is the Lamb that was slain » apporte une digne conclusion à cette magnifique exécution qui suscite l’enthousiasme du public.

Genève, Victoria Hall, 21 décembre 2024

Crédits photographiques : Carole Parodi

Romantismes russes au Concert de Noël de Radio France

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Le mot « romantisme » n’est pas à prendre ici dans le sens musicologique. En effet, des trois œuvres jouées, composées en 1876, 1934 et 1935, seule la première (Le Lac des Cygnes de Tchaïkovski) appartient bien à la période dite « romantique », les deux autres étant nettement postérieures, et donc, en principe, « modernes ». Cependant, le langage de la deuxième (la Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov) est encore très imprégné du XIXe siècle, et le sujet de la dernière (Roméo et Juliette de Prokofiev) est, dans son contenu, on ne peut plus romantique.

Deux suites de ballet encadraient donc une œuvre de virtuosité. L’ordre prévu initialement était chronologique, mais a été finalement inversé pour le concert (Prokofiev, Rachmaninov et Tchaïkovski). Nous aurions pu craindre que ce que devait Roméo et Juliette au Lac des Cygne apparaisse moins clairement ainsi. Mais cette dette se trouvait surtout dans l’utilisation de leitmotivs, bien davantage perceptibles à l’écoute du ballet intégral que dans ces extraits choisis.

À la baguette (si l’on peut dire, car elle l’utilise rarement), Elim Chan, la cheffe d’orchestre qui monte. Née en 1986 à Hong Kong, la liste des orchestres qu’elle a dirigés ou avec lesquels elle a collaboré ces dernières années, est impressionnante. C’était son premier concert à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France.

Jean-Michel Kim à la Salle Cortot : l’art de se fondre dans la musique 

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Dans la catégorie des pianistes discrets mais dotés d’un immense potentiel, Jean-Michel Kim se distingue particulièrement. Lauréat tout récent du Concours international Albert Roussel, il a offert, le 12 décembre à la Salle Cortot, un récital remarquable avec deux grandes sonates au programme : celle en sol majeur D. 894 de Schubert et celle en si mineur de Liszt.

Né à Tokyo en 1989 dans une famille franco-coréenne, Jean-Michel Kim a suivi une formation musicale au Japon jusqu’à l’âge de 19 ans. Il a ensuite intégré le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, où il a bénéficié des enseignements de Jacques Rouvier et d’Hortense Cartier-Bresson en piano, ainsi que de Haruko Ueda en musique de chambre. Titulaire d’un master en piano, musique de chambre et accompagnement vocal, il a occupé le poste d’assistant dans la classe de chant du CNSMDP jusqu’en 2023. Parallèlement, il a approfondi l’art du piano auprès de Henri Barda à l’École Normale de Musique Alfred Cortot. Parmi les nombreuses distinctions qui lui ont été décernées, on peut citer le prix de piano au 9e Concours d’interprétation de la Mélodie française de Toulouse, ainsi que le Prix SACEM obtenu au 10e Concours international de musique de chambre de Lyon, en 2014, en duo avec le violoniste Keisuke Tsushima.

Lors de son récital, après une brève présentation d’Aïda Marcossian, présidente de l’association organisatrice du Concours Albert Roussel, Jean-Michel Kim prend la parole pour introduire la Sonate de Schubert. Il cherche ses mots, hésite, tente d’exprimer ses idées, mais finit par abandonner avec un sourire en avouant qu’il se sentira bien plus à l’aise au piano. En effet, dès qu’il pose ses mains sur le clavier, la transformation est immédiate. Plongé dans la musique, Jean-Michel Kim devient l’incarnation même des notes qu’il joue. Rarement a-t-on vu un musicien si habité par son art. Il semble vivre chaque note dans l’instant présent, comme si les heures passées à étudier la partition et à réfléchir sur ses subtilités s’évanouissaient pour laisser place à l’intensité et à la spontanéité du moment.

Dans le premier mouvement de la sonate de Schubert, qu’il qualifie de « long et lent », Jean-Michel Kim assume pleinement cette lenteur, sans jamais sombrer dans la lourdeur. Les accords successifs constituant des motifs, souvent détachés les uns des autres alors qu’on pourrait attendre une ligne mélodique plus fluide et liée, ne perturbent pourtant pas l’écoute. Cela intrigue dans un premier temps mais captive par la suite notre attention. Tout au long de l’œuvre, des détails de ce type abondent, comme l’insouciante gaîté du final, qu’il joue bondissant avec une innocence délicate. Cependant, malgré ces choix interprétatifs intéressants, son jeu ne révèle pas encore une affinité pleinement affirmée avec Schubert. On devine en filigrane une quête artistique plus profonde, qui pourrait trouver son épanouissement dans la seconde partie du récital.

Notre pianiste dévoile effectivement une réflexion plus aboutie dans la Sonate de Liszt. Avant de jouer, il prend à nouveau la parole, cette fois-ci avec des notes en main, pour analyser brièvement l’œuvre. Il cite des exemples de transformations des thèmes principaux au clavier, pour servir de clés d’écoute. Bien que son discours reste éloigné d’une éloquence parfaite, il séduit par la sincérité de sa démarche, attirant la sympathie de l’auditoire. Ainsi, il parvient à transformer une faiblesse apparente -l’art oratoire est de plus en plus exigé chez les jeunes interprètes- en une véritable force.

Maria João Pires, l’Orchestre du Concertgebouw et Iván Fischer au sommet

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Fondé en 1888, l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam (devenu Royal en 1988) est assurément l’un des tout meilleurs au monde. Depuis une vingtaine d’années, il a son propre label, RCO Live, qui édite des CD et des DVD de ses concerts. À entendre leur prestation à la Philharmonie de Paris, on se dit qu’en effet, avec une telle perfection, une seule prise suffit !

Cette soirée du 17 décembre, sous la direction de leur chef invité honoraire Iván Fischer, était la sixième et dernière d’une série qui avait commencé avec quatre concerts dans leur mythique salle du Concertgebouw d’Amsterdam et s’était poursuivie à Luxembourg. Notre chroniqueur Thimothée Grandjean était à cette dernière, et nous partageons le même enthousiasme.

Alphons Diepenbrock est souvent considéré comme le plus grand, aux Pays-Bas, depuis Jan Pieterszoon Sweelinck (1562-1621), exactement trois siècles plus tôt (les dates concordent étonnamment). De la musique de scène pour Marsyas ou la source enchantée, il a tiré une Suite pour orchestre, qui contient l’Entracte qui nous était proposé en ouverture du concert. Dans cette Suite, il y a des mouvements qui font sans doute tendre plus immédiatement l’oreille, mais que l’on prenne la peine de se plonger dans cet Entracte, et l’on en percevra quelque chose d’assez hypnotique. À son écoute, il est difficile de ne pas songer à Richard Wagner (et en particulier à Siegfried-Idyll), avec ce motif entêtant qui tourne sur lui-même, énoncé d'abord aux cordes. Celles du Concertgebouw sont à la fois somptueuses et soyeuses, et leur cohésion est absolument remarquable, étant donné les risques musicaux qui sont pris, aussi bien dans le raffinement des nuances que dans la souplesse du rubato. Toute la pièce, d’une douzaine de minutes, sera du même niveau.

La pianiste portugaise avait choisi le concerto « Jeunehomme » de Mozart, du nom d’une virtuose parisienne, et non pour marquer le passage du compositeur dans l’âge adulte ! En effet, il l’a écrit à vingt-et-un ans, qui correspondait alors à la majorité. D’aucuns considèrent ce Neuvième Concerto comme le premier de la longue série de chefs-d’œuvre qui ira jusqu'au Vingt-Septième, lesquels sont peut-être ce que Mozart a écrit de plus sublime dans le domaine de la musique instrumentale.

Rainy Days 2024 : un slogan, une clôture, un avenir

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C’est peut-être ma façon -bien involontaire- de me rallier au thème du festival, qui explore cette année les « extrêmes » (l’art est le terrain de jeu des exagérations en tous genres ; l’artiste se doit de désobéir, de s’extraire du convenu, voire du connu, de renier l’extrême d’hier, devenu norme d’aujourd’hui) mais, outre que la concurrence de dates entre le festival bruxellois et le festival luxembourgeois m’amène à débuter le second lors de son jour de clôture, une infection respiratoire (pas le Covid, dit le test -d’ailleurs ne suis-je pas doublement vacciné de frais, grippe et 19 ?) bien entamée m’embrume copieusement l’esprit ce dimanche à la Philharmonie Luxembourg, et ce n’est rien par rapport à la fatigue extravagante qui s’annonce pour les semaines suivantes -raison de ce compte-rendu écrit à distance de l’événement, dans un état plus éclairé mais encore peu brillant.

Rainy Days, c’est une semaine, ambitieuse -même si je ne vous parle ici que de ce que j’ai entendu de mes propres oreilles-, de concerts, événements, spectacles, installations, réflexions, sous la houlette, pour la deuxième année consécutive, de la compositrice Catherine Kontz, luxembourgeoise vivant à l’ombre de Big Ben, comme en témoignent ses tenues vives et colorées qui rappellent l’excentricité de la capitale anglaise à la fin des années 1960.

Occam, le rasoir et l‘orgue

Le train me dépose un peu avant 11 heures, le temps de prendre place dans le Grand Auditorium, intimidant en ce qu’il accueille, seul sur sa scène bleutée, la console du grand orgue, avec ses claviers, pédalier, registres et pistons, une large partition et un écran ouvert sur un logiciel de montage sonore : Occam est le titre générique d’un cycle de pièces instrumentales (pour des formations très diverses, du soliste à l’orchestre) entamé en 2011 par Eliane Radigue, pionnière française de la musique sur synthétiseur, stagiaire en 1955 auprès de Pierre Schaeffer au studio d’essai de la Radio Télédiffusion Française, puis assistante de Pierre Henry au studio Apsome (elle émerge réellement sur la scène expérimentale new-yorkaise au tournant des années 1970, d’abord avec un synthétiseur Buchla, avant d’acheter son ARP 2500, dont elle devient virtuose) et Occam XXV pour orgue, partition de 2018 (en fait, non, chaque œuvre de la série est communiquée oralement aux instrumentistes), est un de « fantasmes sonores », composé sur mesure en collaboration avec l’interprète -ici Frédéric Blondy, dont l’Orchestre de Nouvelles Créations Expérimentations et Improvisations Musicales (ONCEIM), qu’il dirige, a déjà collaboré avec la compositrice. Pour Radigue, le musicien est une unité composée de l’interprète et de son instrument, façon de tenir compte de la personnalité de l’un liée à celle de l’autre, et Occam XXV est sa première œuvre pour orgue : le flux sonore continu sourd insensiblement et s’insinue dans le bleu-gris des fauteuils, dessinant peu à peu des rythmes exhalés des microbattements naturels entre les fréquences, en une organisation sonore déroutante, qui n'apparaît qu’à condition de se laisser aspirer -comme la plage par la marée montante.

Antipodes ? Melting pot !

A l’Espace Découverte, lieu plus intimiste au sous-sol du bâtiment, où public et scène se confondent, deux formations s’unissent le temps d’un (triple car avant et après les accueillent leurs villes d’origine) concert, titré Antipodes (en référence aux chemins empruntés par les écoles de Darmstadt et de l’Ircam) : le Kollektiv Unruhe de Berlin et l’Ensemble Orbis de Lyon, aux instrumentistes de nationalités multiples, proposent un programme original, fait de quatre nouvelles œuvres (deux compositeurs de chacun des ensembles) auxquelles s’ajoutent trois partitions d’étudiants de chaque ville où se joue le spectacle.

Triomphe du Royal Concertgebouworkest à Luxembourg

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Ce lundi 16 décembre, le Royal Concertgebouworkest se produit à la Philharmonie du Luxembourg. L'orchestre néerlandais est dirigé par son chef invité d'honneur, Iván Fischer, avec la participation de la pianiste portugaise Maria João Pires. Le programme de la soirée comprend la pièce Entr’acte d’Alphonse Diepenbrock, le Concerto pour Piano n°9 en mi bémol majeur, KV 271, dit « Jeunehomme » de Mozart, ainsi que la Symphonie n°8 en sol majeur de Dvořák.

Le concert débute avec Entr’acte, extrait de la suite Marsyas du compositeur néerlandais Alphons Diepenbrock. Ce morceau a été choisi par l’orchestre pour rendre hommage au patrimoine musical néerlandais. Entr’acte est le deuxième mouvement d’une suite inspirée de la comédie Marsyas du poète néerlandais Balthazar Verhagen (1881–1950), qui reprend le mythe grec du concours musical entre le dieu Apollon et le satyre Marsyas. Dans cette œuvre, l’influence de compositeurs comme Wagner, Mahler, Richard Strauss et Debussy est perceptible. Il n’y a pas de thèmes ou de mélodies particulièrement marquants, mais c’est la souplesse de l’arabesque « fin-de-siècle » qui prédomine. La ligne formelle se déploie avec grâce, alternant des sommets de plus en plus intenses, une exaltation croissante, avant de céder à une langueur apaisée. Une belle introduction, donc, avant de poursuivre la soirée.

Ensuite, place à l’emblématique Concerto pour Piano n°9 en mi bémol majeur, KV 271, dit « Jeunehomme », de Mozart. Composé en janvier 1777, pendant la période salzbourgeoise du compositeur, ce concerto en trois mouvements dure environ 10 minutes de plus qu’un concerto traditionnel de l’époque.