Celibidache revisite Franck et Debussy
César Franck (1822–1890) : Symphonie en ré mineur ; Claude Debussy (1862–1918) : Nocturnes, Triptyque symphonique pour orchestre et chœurs. Damen des philharmonischen Chores München ; Münchner Philharmoniker, direction : Sergiu Celibidache. 1983 et 1991. Livret en allemand et anglais. MPhil0027.
Si la légende de Sergiu Celibidache s’est construite et perdure avec ses interprétations des symphonies de Bruckner, la musique française était un autre de ses domaines de prédilections et des captations de concerts, à la fois intéressantes et perturbantes, jalonnent sa carrière.
Le label de l’Orchestre Philharmonique de Munich réédite avec parcimonie mais avec soin des enregistrements qui complètent notre connaissance de l’art du chef. Ainsi cette nouvelle parution nous propose des œuvres de Claude Debussy et César Franck captées en 1983 et en 1991. Il ne s’agit pas des seuls témoignages conservés de Celibidache dans ces partitions, DGG avait en son temps publié une Symphonie de César Franck donnée avec l’Orchestre de la Radio suédoise et des Nocturnes de Debussy captés à Stuttgart. Mais avec Celibidache, comparaison n’est jamais raison tant chacune de ces lectures avait un grand intérêt par ce côté unique et à contre-courant de son art.
Commençons par le miraculeux avec d'incroyables Nocturnes de Debussy. Dès les premières mesures de “Nuages”, le tempo est très lent, mais il permet à la baguette du chef de créer une atmosphère unique, l’oreille est immergée dans un paysage musical vaporeux, foncièrement proche de la série “Nocturne” de James Abbott McNeill Whistler dont la partition de Debussy s’inspire. Les aplats des couleurs instrumentales sont translucides et toute la palette des nuances est convoquée pour sculpter le temps musical dans une expérience unique qui s’oriente aussi vers les mondes d’un Turner. Toute l’interprétation s’écoule avec cette magie sonore culminant dans le beauté des “Sirènes” finales, sensuelles, irisées et brumeuses. La leçon de concentration est tout aussi magistrale avec des musiciens qui maintiennent l’attention aux limites de la rupture !
Changement de ton avec la Symphonie en ré mineur de César Franck. Bien évidemment, c’est encore une fois très lent, mais le chef évite la lourdeur et une germanisation brucknérienne. Celibidache construit un édifice certes imposant, mais toujours aéré et lumineux avec une importance accordée aux césures thématiques. La lisibilité des pupitres soigne à la fois l’horizontalité et la verticalité.
Beaucoup pourront crier à la trahison d’un chef qui interprète les textes bien au-delà des intentions des compositeurs avec des indications de tempi, mais n’est-ce pas le geste créatif même ? Celibidache est Celibidache, incroyablement personnel et capable d’emmener l’auditeur dans un monde aux limites de la perception musicale en galvanisant ses musiciens.
Le Philharmonique de Munich est magistral d’engagement total au service d’un art unilatéral.
Son : 8/9 Notice : 9 Répertoire : 10 Interprétation : 9 (Franck)/10 (Debussy).
Chronique réalisée sur base des fichiers numériques.
Pierre-Jean Tribot