Chaleurs a bien failli se perdre
Chaleurs. Walter Boudreau (1947-). Quasar. 48’23". 2024. Livret: français et anglais. Autoproduction.
C’est à une pièce imposante (elle prend tout le disque) que Quasar consacre son septième album (la pandémie comme aubaine, qui donne le temps de s’attaquer à la montagne) : un défi pour le trentième anniversaire du quatuor de saxophones, tant Chaleurs exige, des corps (le souffle, le souffle !) et des âmes (le souffle, le souffle !) des instrumentistes, implication, concentration, habileté, endurance.
La partition, malgré son épaisseur, s’est oubliée, silencieuse, intimidée par son audace, parmi d’autres (nombreuses, pour orchestre, ensemble, soliste ; pour le cinéma, le théâtre, le ballet) dans le fonds d’archives de l’Université Concordia, où des cache-poussières gris, attentifs et scrupuleux, collationnent les œuvres et productions de Walter Boudreau – pianiste et saxophoniste montréalais attiré d’abord par le jazz, qu’il rapproche ensuite de la musique contemporaine et du happening, avant d’infléchir sa voie vers la composition et la direction d’orchestre et de s’investir (longuement) à la tête de la Société de Musique Contemporaine du Québec.
Ecrite en 1985, sortie de la mémoire de son auteur qui redécouvre, des décennies plus tard, son œuvre, touffue, luxuriante, hardiment inspirée d’une chorégraphie signée Paul-André Fortier, première partie d’un tout qui doit, en principe, en comporter deux (la trame électroacoustique de la seconde se terre probablement encore dans un carton à Concordia), révisée et au titre mis au pluriel en 1989, Chaleurs se dévoile finalement au public (confiné et via internet) début 2021, pris en mains par Quasar – la pièce prend alors sa place dans le cycle Le Cercle Gnostique du compositeur, une odyssée qui parle astres, cosmos, et multiples de trois.
La logique mathématique ou l’architecture peuplent l’univers de ce sérialiste de la première heure, que le gigantisme attire volontiers : celui du ciel stellaire ; celui du temps (Berliner Momente lui prend 20 ans) ; celui du dispositif : La Symphonie du Millénaire convoque, à l’aube de l’an 2000, 10 compositeurs, 333 musiciens, 15 clochers d’église numérisés, 1 grand orgue, 1 carillon de 56 cloches, 2000 sonneurs de clochettes, 2 camions de pompiers, en plus d’éléments électroacoustiques et d’un traitement électronique en temps réel – alors, au fond, les 880 mesures de Chaleurs…
Le quatuor de saxophones, lui aussi originaire de Montréal, porte depuis 1994 la création contemporaine, de et dans sa province (et ailleurs – je vous en parlais l’an passé à propos d’Images Sonores à Liège), ouvert à l’électronique ou l’improvisation, toujours prêt à expérimenter : ce disque est un défi, par l’ampleur de l’œuvre et la performance physique qu’elle suppose – pinacle d’une complicité, résolument installée, entre compositeur et interprètes.
Son : 8 – Livret : 8 – Répertoire : 8 – Interprétation : 8
Chronique réalisée sur base de l'édition digitale.
Bernard Vincken