Charles Dutoit et Gautier Capuçon à Monte-Carlo
Le public monégasque est venu en très grand nombre pour assister au concert avec le légendaire Charles Dutoit à la tête de l'Orchestre philharmonique de Monte-Carlo et avec la star du violoncelle Gautier Capuçon en soliste.
Le Concerto d’Antonín Dvořák est un monument du répertoire pour violoncelle. Composé à New York, ce concerto est pourtant profondément tchèque. Chant d’exil et chant d’adieu à Josefina, son premier amour, l’œuvre entière est empreinte de nostalgie et de regrets. On est frappé par les mélodies romantiques, la puissance et l'émotion de l'œuvre, le rôle important confié aux instruments à vent, et l’équilibre global de ses trois mouvements. Dès le début, Dutoit pose le décor : le cor feutré palpitant avec un vibrato doux, la clarinette tendre et les cordes avec tous les accents typiquement tchèques. L'interprétation de Gautier Capuçon est sublime. Il tire une sonorité somptueuse et profonde de son magnifique instrument, un Matteo Goffriller de 1701. L’éloquence et l’effusion explorent les tréfonds de l’âme et font jaillir un chant bouleversant tout en contrastes, alliant sensibilité et virtuosité. Il est en osmose avec l'orchestre sous la direction accomplie de Charles Dutoit. Le deuxième mouvement est imprégné d'un ton lugubre et d'un sens aigu de la gravité. C'est une lecture lente, musclée et passionnée. Gautier Capuçon nous livre le meilleur de son art : classe, élégance, lyrisme, raffinement, passion, profondeur et beauté. Le public emporté lui réserve un triomphe. Gautier Capuçon offre en bis son arrangement d'un prélude de Chostakovitch qu'il partage avec tous les pupitres de violoncelles de l'orchestre.
Charles Dutoit est un magicien qui a l'art de transformer un concert en fête. A 88 ans, il déborde d'énergie, conserve son magnétisme et galvanise ses musiciens. Il a une complicité unique avec l'OPMC. Dutoit dirige le ballet complet de Petrouchka de Stravinsky, dans sa version originale de 1911. Son interprétation est étonnamment lyrique, les influences folkloriques sont particulièrement bien rendues. Bien qu'il n'y ait pas de danseurs, le récit est extrêmement vivant. On est immédiatement plongé dans la “Foire des Mardi Gras”, débordant d'exubérance et c'est une leçon magistrale de direction d'orchestre. Chaque vrombissement est parfaitement synchronisé, tandis que se déroule l'histoire du magicien manipulant ses marionnettes -Petrouchka, la Ballerine et le Maure. L'orchestre s'attaque à la Danse russe avec une vigueur incroyable. Alors que la trompette entonne la vision du fantôme de Petrouchka, on imagine Nijinski dans son costume de clown, agitant les poings avec colère. C'est une narration puissante, Dutoit est un conteur magistral.
Merveilleuse interprétation de La Valse de Ravel. L'apothéose et la destruction de la valse viennoise classique avec cet éclat parfois sombre qui préfigure ce que l’Europe va vivre quelques années plus tard, et que Ravel pressentait certainement. Superbement dirigé, l'OPMC suit avec respect et un plaisir évident le Maestro Charles Dutoit qui donne irrésistiblement l'envie de jouer, de fondre, de vibrer, de transcender les émotions du cœur aptes à incorporer l'hallucinante harmonie de l'œuvre dans l'univers des sens. Une ovation debout et un public enchanté.
Monte-Carlo, Auditorium Rainier III, 1 décembre 2024
Crédits photographiques : Manuel Vital