Clarinette et main gauche pour de la musique de chambre de Josef Labor
Josef Labor (1842-1924) : Quintette pour clarinette, violon, alto, violoncelle et piano en sol majeur op. 11 ; Quintette pour hautbois, clarinette, cor, basson et piano en ré majeur ; Trio pour clarinette, alto et piano (main gauche) en sol mineur ; Trio pour clarinette, violoncelle et piano (main gauche) en mi mineur. Thorsten Johanns, clarinette ; Juri Vallentin, hautbois ; Theo Plath, basson ; Premysl Vojta, cor ; Nina Karmon, violon ; Andreas Willwohl, alto ; Alexander Hülshoff, violoncelle et Oliver Triendl, piano. 2020. Notice en allemand et en anglais. 132.15. Un album de deux CD Capriccio C5473.
Grâce au label Capriccio, le nom de l’oublié Josef Labor est revenu sous les feux de l’actualité. Voici en effet le quatrième album que la firme allemande consacre à ce compositeur qui avait perdu la vue dès l’âge de trois ans, suite une variole. Des sonates pour violon et piano, pour violoncelle et piano, pour violoncelle seul, un trio avec clarinette, un quatuor avec piano et un quintette à clavier, déjà disponibles en trois parutions, sont complétés maintenant par des pages autour de la clarinette, mais aussi destinées, pour deux d’entre elles, à la main gauche, à savoir celle de Paul Wittgenstein (1887-1961), amputé du bras droit au cours de la Première Guerre mondiale. Dans notre article du 13 novembre 2019, consacré au quatuor et au quintette susmentionnés (Capriccio C5390), nous avions estimé ces dernières œuvres agréables, mais conventionnelles. Le nouvel album nous incite à revoir quelque peu notre jugement et à prendre mieux en considération ce créateur qui, de son vivant, a été reconnu comme un pianiste et un organiste de haut niveau, mais dont les compositions sont demeurées dans l’ombre, avant de tomber dans l’oubli.
Proche du violoniste Joseph Joachim, Labor l’est aussi de Brahms, Richard Strauss ou Mahler, mais encore de Pablo Casals. Il rencontre un vif succès à Vienne où, après avoir été au service du Roi de Hanovre George V qu’il a suivi en exil, il trouve, en la personne du magnat de l’industrie Karl Wittgenstein, un nouveau protecteur dans les années 1890. Il donne des cours à ses deux fils, Paul, déjà cité, et Ludwig, qui deviendra philosophe et écrira le Tractacus logico-philosophicus. Ce programme, marqué par la présence constante de la clarinette, contient deux quintettes pour formations différentes, et deux trios, commandés par Paul Wittgenstein. Entre 1915 et 1924, Labor écrit onze œuvres pour ce dernier, à son usage exclusif, certains dans le cadre de concerts privés, à commencer par une Pièce de concert pour piano (main gauche) et orchestre, qui sera suivie par deux autres, en 1916 et en 1923.
Labor compose aussi pour Wittgenstein plusieurs pages de musique de chambre, dont les deux trios ici proposés. Le premier, destiné à la clarinette, au violoncelle et au piano, date de 1917. Il sera joué en public à Vienne en décembre 1919. En quatre mouvements, il s’agit d’une page lyrique, à forte composante émotionnelle, avec des allusions à des thèmes populaires. Le bref Adagio se nourrit d’un dialogue chaleureux entre la clarinette et le violoncelle. L’autre Trio, pour clarinette, alto et piano, est créé un an plus tard dans la capitale autrichienne. On y retrouve des réminiscences mozartiennes et schumaniennes. Ici aussi, l’émotion domine une inspiration qui s’exprime en moments contrastés et en nuances élégantes.
Dans le présent album Capriccio, l’affiche de chaque CD offre un quintette, suivi d’un trio écrit pour la main gauche de Wittgenstein. Le Quintette op. 11 pour clarinette, violon, alto, violoncelle et piano, dont la première eut lieu à Vienne le 29 mars 1900, fait suite à une rencontre de Labor, chez les Wittgenstein, avec Richard Mühlfeld (1856-1907), un ami de Brahms qui composa plusieurs œuvres pour ce remarquable soliste. L’autre Quintette est destiné à un ensemble peu courant, à savoir le hautbois, la clarinette, le cor, le basson et le piano, que Mozart a mis en valeur dans son Quintette K. 452 de 1784, et Beethoven, en 1796, dans son Quintette op. 16. Ces pages ambitieuses, qui dépassent chacune la demi-heure, contiennent maints passages virtuoses. Labor crée de belles mélodies, gorgées de sentiments qui savent se révéler passionnés. Le compositeur est habile dans la combinaison entre les instruments (le dialogue clarinette/violoncelle dans l’opus 11) et assure aux ensembles un discours collectif équilibré. Labor n’est certes pas un novateur et demeure dans la tradition de la deuxième partie du XIXe siècle, mais on se laisse prendre aux finesses de l’harmonie et à la présence de la chaleur expressive.
Les interprètes servent ce programme avec conviction. Le clarinettiste allemand Thorsten Johanns (°1976), qui a étudié à Cologne, est souvent sollicité comme soliste par divers orchestres. Son jeu engagé sait se plier aux exigences des partitions. On le découvre souvent racé et élégant. Le pianiste Oliver Triendl (°1970), qui est à la tête d’une imposante discographie (Thorofon, Oehms, cpo…), est attentif à mettre en valeur tous ses partenaires. Qu’il preste de la main gauche ou des deux mains, son toucher est clair et précis. Les six autres solistes, avec mention particulière pour le violoncelle d’Alexander Hülshoff (°1969), participent avec bonheur à cette aventure musicale qui se présente un peu comme une intéressante réhabilitation.
Son : 9 Notice : 10 Répertoire : 8,5 Interprétation : 9
Jean Lacroix