Clôture du Printemps des Arts 2025

par

Pour le dernier week-end de l’édition 2025 du Printemps des Arts de Monaco, le directeur artistique de ce festival Bruno Mantovani compose un programme éblouissant d’une originalité unique qui reflète à merveille les goûts et les influences de Pierre Boulez  dont on célèbre le centenaire de sa naissance ainsi que l’attention portée aux nouvelles générations.

On retrouve avec plaisir le chef d'orchestre germano-japonais Elias Grandy, qui avait laissé une forte impression l'année passée, à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo. 

En première partie de programme, zeroPoints, une pièce courte d’une virtuosité virevoltante du compositeur hongrois Peter Eötvös décédé l'année passée. Commandée par le London Symphony Orchestra et Pierre Boulez, zeroPoints est avant tout un hommage au grand compositeur, chef d'orchestre et collègue Boulez : " C'est une tâche inhabituelle, un honneur particulier pour un compositeur-chef d'orchestre d'écrire de la musique pour un autre compositeur-chef d'orchestre. Depuis les années 80, j'ai souvent dirigé les œuvres de Boulez, et je me demande encore pourquoi il commence la numérotation des mesures par 0 au lieu du 1 habituel. Par respect pour le maître, j'ai osé ne viser que l'espace entre 0 et 1, ainsi les titres des mouvements de zeroPoints vont de 0.1, 0.2... à 0.9, sans jamais atteindre le chiffre1.” Elias Grandy s’y montre très inspirant.

Valeriy Sokolov est un des violonistes favoris du public monégasque, il s’attaque ensuite au   Concerto pour violon n° 2 de Bartók.  Le jeu de violon de Sokolov, allié à une expression glorieuse et une maîtrise technique impressionnante, dégage une sincérité inexorable. Il se distingue par une sonorité étincelante, une vitalité rythmique exceptionnelle, contrastant avec une réflexion sereine. Sous la direction d'Elias Grandy  l'Orchestre philharmonique de Monte-Carlo s'impose d'un bout à l'autre comme un modèle d'unité et de musicalité. Le public est particulièrement séduit. Après plusieurs rappels Sokolov offre en bis une page de Bach.

Le Poème de l’extase d’Alexandre Scriabine crée un univers musical d’une intensité rare, reflet sonore de la philosophie mystique du compositeur russe. Isolé mais visionnaire, Alexandre Scriabine considère que sa création personnelle tend la main à la Création divine et universelle. Sa relation à l’univers est si palpable, si foncièrement érotisée dans son mysticisme même, qu’il y atteint une sorte de suprême innocence. Scriabine cherche la convergence de toutes nos perceptions, le ravissement de nos cinq sens, dans le but d’ouvrir le sixième. Novateur, il crée des accords singuliers avec une tension exaltante : ainsi s’exprime, dans le domaine harmonique, son désir éperdu de simultanéité. Le Poème de l'extase est peut-être l’ouvrage d’orchestre le plus convaincant de ce compositeur prophète. D’une seule coulée comme les poèmes symphoniques de Liszt, il déploie toutes les ressources du grand effectif fin de siècle.

Grandy ne dirige pas seulement l'orchestre, mais aussi le public. Les musiciens d'orchestre disent que, dans les moments de bonheur, ils prennent part à cette immense vague collective. Grandy pourrait être vu comme un grand prêtre moderne qui accumule, façonne et dirige les énergies nécessaires pour atteindre cet état de dissolution collective, où tout ne fait plus qu'un.

C'est le Trio Pantoum qui clôture l'édition 2025 du Festival du Printemps des Arts.

Ils commencent avec le Trio en la  mineur de Maurice Ravel. Cette œuvre est emblématique pour le Trio Pantoum. Ils ont pris leur nom du deuxième mouvement Pantoum, qui se réfère à une forme poétique orientale. C'est une œuvre fascinante, avec une touche particulière qui crée un mélange de douceur, d'intimité et de féérie. Elle révèle sans cesse de nouveaux sentiments et des émotions. Ravel était un maître de l'harmonie et associait les modes modernes aux modes anciens. De ce fait, cette composition est d'inspiration universelle et raffinée.

Le jeune trio est composé du violoniste Hugo Meder, du violoncelliste Bo-Geun Park et du pianiste Kojiro Okada. Leur interprétation est envoûtante, mystérieuse, limpide, et tour à tour mélancolique ou joyeuse.

Olivier Messiaen était un des Maîtres de Pierre Boulez.  Le Quatuor pour la fin du Temps, a été écrit et créé en captivité au Stalag VIII à Görlitz en Silésie en 1940. Messiaen compose son quatuor pour une étrange nomenclature : piano, violoncelle, violon et clarinette.  L’instrumentation s’impose à lui en fonction des instruments disponibles et des prisonniers musiciens. La pièce sera ainsi jouée pendant l'hiver 1941 au Stalag, sur un piano désaccordé, une clarinette dont certaines clés avaient fondu et un violoncelle et un violon récupérés en toute hâte dans les environs. La représentation de cette pièce doit être considérée comme un événement unique et intense dans l'histoire de la musique, puisqu'il s'agit d'une création dans une situation des plus apocalyptiques, où l'audience elle-même se composait de représentants variés de toutes les classes sociales.

Messiaen s'inspire des hallucinations provoquées par la faim et le froid et des visions de l'Apocalypse. Comme dans chaque œuvre du compositeur, la pièce bénéficie d'un programme théologique s'appuyant sur l'Apocalypse, qui tend encore à interpréter l’œuvre dans le sens de la fin des temps dans un camp. C'est d'ailleurs peut-être ainsi qu'elle fut bien vécue par les autres prisonniers. Les huit mouvements de l'œuvre sont expliqués par Messiaen sur un plan mystique, spirituel ou religieux. Sept est le nombre parfait, la Création en six jours sanctifiée par le sabbat divin, le septième jour de ce repos se prolonge dans l'éternité et devient le huitième jour de la lumière éternelle, de la paix inaltérable. 

La clarinettiste Ann Lepage rejoint le Trio Pantoum.  Ils ne font qu’un dans cette Apocalypse rêvée qui convoque tour à tour les oiseaux (“Liturgie de cristal”), la fin du monde (“Danse de la fureur, pour les sept trompettes”) et le Christ rédempteur (“Louange à l’immortalité de Jésus”). Les musiciens révèlent toutes les couleurs ardentes et extatiques de l'oeuvre, leur interprétation est intense et bouleversante

Monte-Carlo, Auditorium Rainier III, 5 avril 2025 et Opéra Garnier 6 avril 2025

Crédits photographiqies : Shervin Lainez 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.