David Haroutunian, Khachaturian en perspective 

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Le violoniste David Haroutunian, en compagnie de la pianiste Xénia Maliarévitch, fait paraître un album consacré à des œuvres pour violon du  formidable et trop négligé Aram Khachaturian (Fuga Libera). Cet album nous permet de découvrir en première mondiale  la Danse n°1 et surtout la Sonate pour violon et piano, cette dernière s’imposant comme un véritable chef d’oeuvre.  Crescendo Magazine est heureux de s’entretenir avec David Haroutunian pour remettre le compositeur dans le contexte et parler des beautés de sa musique. 

Qu’est-ce qui vous a poussé à consacrer un album entier à la musique pour violon de Khachaturian ? 

Lorsque j’ai eu le désir d’enregistrer mon premier album il y a déjà plus de dix ans, c’est très naturellement la musique de Khatchatourian que j’ai eu envie de graver. Pour moi l’importance d’un album est surtout primordiale de par sa conception, de par son identité. Et mes origines me donnaient à la fois une envie très forte et une légitimité évidente de prendre cette initiative et défendre ce répertoire. Finalement, il y a eu de nombreux projets avant celui-là.  Il est vrai que l’envie de réaliser un album monographique de toute la musique pour violon seul et violon et piano de Khatchatourian était aussi motivée par le fait que ça n’avait encore jamais été fait auparavant.

Cet album présente des inédits : la Danse n°1 et surtout la Sonate pour violon et piano. Comment avez-vous été informé de l’existence de ces partitions ? 

Lors d’un concert que nous donnions, ma complice Xénia Maliarevitch et moi-même, pour les 40 ans de la disparition de Khatchatourian, j’ai eu la chance de rencontrer le fils de Khatchatourian, Karen, qui m’a parlé de l’existence de cette Sonate. Ayant grandi en Arménie avec un père violoniste et héritier de la grande école russe, je pensais connaître la totalité de la musique pour violon des grands compositeurs. La découverte de la Sonate a été pour moi une énorme surprise et aussi une source de questionnements : comment se faisait-il que je n’avais jamais entendu parler de cette œuvre ? Après plusieurs échanges avec Karen Khatchatourian, j’ai compris que son père n’avait pas souhaité publier cette œuvre écrite en 1932. À mon sens, les revendications artistiques du régime de l’époque ne permettaient pas à Khatchatourian de casser les codes en éditant une œuvre aussi audacieuse. Le fait que la Sonate soit seulement en deux mouvements, qu’elle comporte une cadence de violon, et transcende les intonations du folklore arménien, ne devait pas rassurer son créateur. La Danse n°1 a été éditée aux États Unis récemment et c’est une œuvre de jeunesse que j’ai découverte par le biais de musicologues arméniens.

Quelles sont les qualités musicales de la musique de Khatchatourian ? Comment s’intègre-t-elle dans son temps ? Quels sont les caractères arméniens de sa musique ? 

Je trouve qu’il y a dans certains milieux en France un dédain vis-à-vis de Khatchatourian. Comme si sa musique n’était pas assez prestigieuse ou exigeante. Certes, nous ne sommes pas dans les mêmes complexités que Bartók, lorsqu’il s’agit de s’approprier la musique folklorique, néanmoins Khatchatourian a cette sincérité grandiose dans ses orchestrations, dans ses longues phrases lyriques. Bien entendu, si l’on s’arrête à la “Danse du sabre”, qui est elle aussi un petit bijou dans le contexte du ballet Gayané, on peut trouver que sa musique manque de profondeur. Et puis nous vivons une époque où les choses doivent avoir plusieurs sens, être parfois à la limite de l’incompréhensible, alors que la musique de Khatchatourian est justement caractérisée par une beauté immédiate. La « Sonate-monologue » est une pièce extrêmement intimiste, où il a utilisé des accords simples en évitant presque de les harmoniser. Cette œuvre de la toute fin de sa vie témoigne aussi d'une évolution de sa pensée et de son esthétique. 

Khatchatourian a toujours utilisé les couleurs de la musique arménienne, parfois de façon cachée et d’autres fois en empruntant carrément les mélodies folkloriques dans leur intégralité.

La musique de Khatchatourian est très belle et très flatteuse à l'oreille. Pourtant, elle reste trop peu connue et rarement présente au concert. Même les suites de ses célèbres ballets ne sont plus tant jouées. Est-ce que vous pensez qu’un revival pourrait se produire ? 

Il est pour moi nécessaire que Khatchatourian soit encore plus reconnu à la hauteur de son génie. Le fait que sa musique ne soit pas plus souvent jouée vient à mon avis de l’aspect insaisissable de son art : c’est un compositeur arménien influencé à 100% par ses maîtres issus de la grande école de composition russe. De plus, il est considéré comme un compositeur soviétique avec tout ce que ça comporte de rebutant. Alors qu’il suffit d’écouter sa musique pour être absolument convaincu que c’est un des plus grands artistes du XXe siècle. J’espère avec ma modeste contribution redonner aux gens l’envie de découvrir ou redécouvrir l’immense héritage de Khatchatourian.

Est-ce que c’est important pour vous de défendre ce grand compositeur arménien à ce moment de l’histoire?   

Les Arméniens du monde entier vivent une période très incertaine et angoissante. Depuis l’agression de l’Azerbaïdjan de 2020 et l’annexion de l’Artsakh (Haut-Karabakh) en 2023, nous nous levons chaque matin en redoutant une mauvaise nouvelle. Le patrimoine plurimillénaire est menacé. Le passé nous a démontré qu’on pouvait détruire ce patrimoine en toute impunité. Dans la région de Nakhitchévan, l’Azerbaïdjan a effacé des centaines d’églises et le plus grand cimetière historique arménien en le transformant en terrain militaire. 

J’ai grandi, appris et évolué avec la figure de Khatchatourian, qui en dehors des frontières représente le génie créateur du peuple arménien. Étant de nature pacifiste, c’est ce combat avec mon archet que j’ai choisi pour rappeler au monde que le beau gagnera contre la haine et qu’aucun impérialisme n’aura raison des artistes comme Khatchatourian, qui, en dépit d’un monde brutal qui l’entourait lui aussi, a consacré sa vie à faire résonner les échos de ses ancêtres.

Au concert :

David Haroutunian et Xénia Maliarévitch seront en concert à la salle Cortot le 25 mars prochain avec le programme de disque

A écouter :

Khachaturian, The Dancing Violon. David Haroutunian, violon ; Xénia Maliarevitch, piano. FUG840

Crédits photographiques :   Kira Vygrivach

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