Donizetti en mélodies

par

Gaetano Donizetti (1797-1848) Songs,  Volume 1. Lawrence Brownlee, Ténor ; Carlo Rizzi, Piano. 2024. Livret en anglais- texte chanté en italien.  70’52’’. Opera Rara.  ORR254   

Gaetano Donizetti (1797-1848) Songs,  Volume 2. Nicola Alaimo, Baryton  ; Carlo Rizzi, Piano. 2024. Livret en anglais- texte chanté en italien.  80’50' . Opera Rara.  ORR255   

Premier d’une série d’albums consacrés aux 200 mélodies de Gaetano Donizetti, cet enregistrement est le point de départ d’une aventure remarquable initiée par la firme Opera Rara ; remarquable d’abord parce qu’elle apporte une contribution capitale à la connaissance du compositeur bergamasque là où les données étaient dispersées ou inconnues ; ensuite parce qu’elle est réalisée sur la base d’un appareil critique et d’une présentation aussi sérieuse que soignée ; enfin et surtout parce qu’elle témoigne d’ affinités profondes avec le génie du compositeur, avec le style populaire italien et également avec la société cosmopolite, turbulente et inventive qui gravite à cette époque autour de l’axe Paris, Naples et Vienne.

Les pièces assez courtes (dépassant rarement une durée de 5 minutes) saisies au vol dans un contexte intime ou mondain ponctuent, comme un journal, la vie du musicien reflétant ses amitiés, ses voyages, ses goûts et les opéras sur le métier. Au fil des partitions, un portrait attachant se dessine : d’humeur espiègle (chanson napolitaine Amor marinaro « Me voglio fà ‘na casa », ou plus sombre ( Il sogno « Nostre misere menti » repris par Edgardo), il se caractérise par la grâce (duetto voix et harpe) d’une inépuisable inspiration qui vivifie chaque mesure. 

L’ensemble des mélodies, pour certaines déjà publiées en brochures, pour d’autres manuscrites, a été réuni à l’issue de longues recherches (au Conservatoire de Naples pour la mélodie inconnue « Lunge ne vai », à la Bibliothèque Nationale pour « O anime » ou au fin fond d’un couvent autrichien proche de Linz pour « Non v’è più barbaro », par exemple ). Elles ont été attribuées en fonction de la sensibilité musicale et du tempérament des interprètes.   

Lawrence Brownlee, familier du répertoire rossinien, a déjà incarné Tonio sur scène dans La Fille du Régiment ou Edgardo dans Lucia di Lammermoor de Donizetti. Ici, les poèmes de Métastase et d’auteurs divers bénéficient de sa diction claire portée par une maîtrise du souffle techniquement accomplie. La ligne de chant très ferme reste constamment élégante tandis que les reflets cuivrés du timbre se prêtent à un héroïsme assez démonstratif. L’absence de demi-teintes, de verve populaire et surtout de cette désinvolture latine aussi ambiguë, irrésistible que touchante engendre une certaine monotonie. Par ailleurs, la prise de son met la voix très en avant. Dommage, car c’est Carlo Rizzi, chef d’orchestre grand connaisseur du répertoire belcantiste qui est au piano et le deuxième album qu’il partage avec le baryton Nicola Alaimo est éblouissant.

Le second volume présente 26 des 200 mélodies de Gaetano Donizetti dont Robert Parker a dirigé  et établi le recueil. Dès les premières notes, le plaisir de l’écoute s’impose : la grâce ensoleillé ou nostalgique de l’inspiration, la versatilité d’humeur, la variété des styles, l’humour omniprésent s’ébrouent ici en liberté. Ainsi de l’opéra miniature Il trovatore in caricatura « Era la notte e la campana » où le chant du crapaud mêlé à celui du chat et au grincement du bois, est commenté par un piano espiègle !

Non priego mai, né pianto, aux élans élégiaques, témoigne de la précocité du compositeur (publié en 1825) mais aussi de son habileté à varier les climats et à créer en quelques mesures une vérité dramatique saisissante. Il recourt notamment à une profusion d’interactions où le piano peut laisser place à l’alto, au violoncelle ou à la harpe. L’esprit populaire guilleret et dansant (Non sdegnar, vezzosa Irene ou O Cloe, deliziadi questo core) côtoie ainsi la mélancolique romance avec harpe Non v’è nume, non v’è fato dont on admire l’ économie de moyens (on pense naturellement à Lucia di Lamermoor). Les langues se diversifient au fil des déplacements – quatre mélodies en français et une en allemand sur vingt-six – . L’avant- dernière canzonetta - ou plutôt barcarolle - Mentre dal caro lido, harmoniquement plus audacieuse, dégage une verdeur pimentée d’amertume caractéristique de la « patte » du compositeur.

Dès La partenza del crociato « Al campo della gloria » qui ouvre le récital, le pianiste et chef d’orchestre Carlo Rizzi  plonge l’auditeur « in media res ». Le clavier se fait lyre, guitare, orchestre, décor, drame. Déroulant un tapis scintillant, il fait rebondir ses répliques avec malice ; sensible aux moindres inflexions, il sait se fondre dans le velouté du legato ou seconder la vaillance de l’engagement -mélange de panache et de tendresse- du baryton palermitain Nicola Alaimo. 

L’ampleur des moyens (il fut Guillaume Tell récemment), la texture vocale et la sensibilité latine du chanteur rendent hommage aux traditions populaires comme à la narration dramatique. 

D’une manière plus générale, un sentiment de joie partagée émane de l’ensemble. Elle jette une lumière inhabituelle et plus intime sur l’art d’un compositeur à qui l’on doit Maria Stuarda, les Martyrs (Poliuto) ou La Favorite à côté de L’elisir d’amore, La Fille du Régiment ou Don Pasquale : tout ce que l’on entend et devine. 

Bénédicte Palaux Simonnet

Volume 1 : Son 10 - Livret 10 - Répertoire 10 - interprétation  9

Volume 2 : Son 10 - Livret 10 – Répertoire 10 - Interprétation 10 

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