Enthousiasmants NDR Radiophilharmonie et Stanislav Kochanovsky, avec un Gil Shaham lumineux

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L’Orchestre philharmonique de la NDR (nom original : NDR Radiophilharmonie) fait partie de ces nombreux orchestres de radio allemands d’excellente qualité. Basé à Hanovre, il dépend, tout comme l’Orchestre symphonique de la NDR – NDR Sinfonieorchester – qui est, lui, basé à Hambourg) de la Norddeutscher Rundfunk (NDR). Il a été fondé en 1950, depuis 2014, son directeur musical en était Andrew Manze.

Depuis le début de l’actuelle saison, son successeur est Stanislav Kochanovsky. Chanteur de formation, il a une trentaine d’opéras à son répertoire, et a à cœur de faire découvrir des œuvres rares et nouvelles.

Pour cette première tournée en France (ils avaient donné le même programme trois jours avant à Aix-en-Provence) avec son nouvel orchestre, il avait emmené le très grand violoniste israélo-américain Gil Shaham, l’un des plus authentiques virtuoses actuels.

Au programme : le Concerto pour violon de Brahms, qu’on ne présente plus (les difficultés qu’il eut à s’imposer sont depuis longtemps balayées), et la Troisième suite pour orchestre de Tchaïkovski, que l’on aimerait entendre plus souvent (il semble qu’elle ait plutôt suivi le chemin inverse).

Gil Shaham fait son entrée d’un pas alerte, serre longuement, et chaleureusement, la main du premier violon. Le bonheur d’être là se lit sur son visage, sans doute à la perspective de jouer ce Concerto de Brahms, avec lequel il entretient une relation privilégiée.

L’introduction de l’Allegro est très classique, avec un équilibre nettement en faveur des cordes, et quelque chose de légèrement emprunté. En revanche, le style de Gil Shaham est d’une très grande pureté, sans quasiment aucun effet violonistique. Avec son Stradivarius et un archet qu’il tend bien davantage que ses collègues, il a une sonorité franche et claire. 

L’orchestre le suit remarquablement sur le plan rythmique, mais ne le laisse pas toujours passer sur le plan sonore. Il faut dire que, de ce point de vue, le soliste est d’une subtilité et d’une palette rares. Et puis, il a une façon de se tourner vers l’orchestre, qui implique une moindre projection du son vers la salle, dans les passages où il a un rôle moins exposé. Les tutti d’orchestre dégagent une belle puissance (avec, toutefois, des cuivres qui ont tendance à prendre le dessus) qui n’est pas dans l’esprit de ce que propose le soliste, mais qui ne peut laisser indifférent. Gil Shaham a choisi la cadence la plus souvent jouée (celle de Joseph Joachim). Éblouissante sur le plan technique, elle fait surtout entendre une succession de très courtes saynètes très caractérisées. À la fin, il nous emmène au ciel, et nous y garde jusqu'à la fin du mouvement.

Comme pour l’Allegro, le début de l’Adagio (que ce soit le fameux solo de hautbois ou l’ensemble des vents) manque de simplicité. Mais, cette fois, il y a une certaine cohérence avec le soliste, qui joue ici avec une urgence et une passion que l’on n’attendait pas. Il est loin d’une vision éthérée et aérienne de cette musique hors-temps. Assurément, il raconte quelque chose. L’orchestre le suit dans son récit (sans, à nouveau, ce souci de l’équilibre sonore, notamment lors des interventions des vents).

Dans le finale (Allegro giocoso), Gil Shaham se joue de toutes les difficultés techniques, et peut s’appuyer sur une belle énergie de l’orchestre. Dans ce mouvement aux accents tziganes, son jeu est épatant de vitalité, de fraîcheur et de spontanéité. 

Pablo de Sarasate refusa de jouer ce Concerto : « Me croyez-vous assez dépourvu de goût pour me tenir sur l’estrade en auditeur, le violon à la main, pendant que le hautbois joue la seule mélodie de toute l’œuvre ? ». Le célèbre virtuose espagnol a ainsi perdu une occasion de montrer l’étendu de son talent. Pas Gil Shaham, qui a, au contraire, fait preuve qu’il n’était certainement pas « dépourvu de goût » !

En bis, Gil Shaham nous offre l’Andante de la Deuxième Sonate pour violon seul (en ut majeur) de Bach, d’un tempo inhabituellement rapide, et surtout étonnamment joyeuse. On ne peut pas vraiment dire qu’il ait été, stylistiquement, atteint par le mouvement « historiquement informé ». Il en retient toutefois de ne pas jouer deux fois la même chose de la même façon, et ses décorations, dans la première reprise (il ne fait pas la seconde, mais prend des libertés à la toute fin de la pièce), si elles ne sont sans doute pas académiques, sont très personnelles, et transforment cet Andante en une radieuse prière, au lieu de l’éplorée désolation que l’on entend souvent.

Après l’entracte, place à Tchaïkovski. Il a écrit quatre Suites pour orchestre qui, à mi-chemin entre la Symphonie et la Suite de ballet, n’en ont pas acquis la popularité. Il faut dire que, si le compositeur se félicitait de la liberté que lui donnait cette forme (« particulièrement attrayante pour moi, car elle n’est en rien contraignante et ne demande pas de sacrifier à quelque convention ou tradition que ce soit »), ses réalisations n’ont ni la profondeur des premières, ni l’inventivité des secondes. Des quatre, la Troisième est la plus ambitieuse... et probablement la plus convaincante. Elle fut d'ailleurs un des grands succès de son vivant. Si ses quatre mouvements peuvent rappeler formellement la Symphonie, il y a dans cette Suite une volonté de séduction qui s’en éloigne quelque peu.

Stanislav Kochanovsky trouve dans l’Élégie une très belle atmosphère. Il faut dire qu’ici les cordes, point fort de ce NDR Radiophilharmonie, excellentes, lyriques à souhait mais sans emphase, sont choyées par le compositeur. Il se dégage de ce morceau une impression de bien-être et de sérénité, comme lorsque l’on est au chaud chez soi, au coin du feu, et que dehors il neige.

Dans le titre du mouvement suivant, Valse mélancolique, il faut-entendre cet adjectif dans son sens psychiatrique. Nous ne sommes pas dans une nostalgie plus ou moins souriante, mais bien dans un « état de dépression, de tristesse vague, de dégoût de la vie » (Larousse). Et l’interprétation de Stanislav Kochanovsky ne donne pas dans la bluette. Il obtient au contraire des sonorités qui rappellent le fauvisme en peinture. Ce n’est pas une valse à danser dans les salons de mondanité superficielle, mais bien un véritable drame.

Si, dans le Scherzo, on peut regretter une légère imprécision du côté des bois, qui entraîne un peu de confusion, on reste dans l’ambiance tendue de ce qui précède, bien peu badine malgré l’humour qui surgit ici ou là. Dans la partie centrale, les cuivres prouvent qu’ils sont capables de délicatesse.

Le finale, qui dure à lui seul aussi longtemps que les trois autres mouvements réunis, consiste en douze variations. Son thème est à la fois solennel et badin, avec des premiers violons remarquablement disciplinés. Dans les trois premières variations, légères, nous admirons successivement le cantabile des flûtes et des clarinettes, la virtuosité des cordes (qui s’en amusent elles-mêmes) et la souplesse des bois. Changement d’ambiance avec trois variations dramatiques : la quatrième, avec un impressionnant Dies Irae aux cuivres, puis une fugue tranchante et nerveuse, avant une sixième variation acérée et percussive. Séquence plus intérieure : une courte variation avec des bois rêveurs, puis une longue huitième avec un cor anglais (Florian Adam) magnifiquement méditatif. Réveil en fanfare avec deux variations enjouées, un peu espiègles, qui sollicitent le premier violon : d'abord dans un solo comme les aime le compositeur, c'est-à-dire virtuose et complexe, puis avec une mélodie (et Miguel Colom Cuesta excelle dans les deux) ponctuées par des interventions du reste de l’orchestre, non sans malice. La onzième variation est lyrique, et les beaux violons de l’orchestre peuvent s’épancher, mais on sent que ça ne durera pas. Et, en effet, la dernière variation (la plus longue), qui surgit par des coups de timbales et des appels de cors, laisse finalement éclater une Polonaise endiablée et irrésistible. Ce n’est sans doute pas le Tchaïkovski le plus subtil que l’on puisse imaginer... Mais, avec un NDR Radiophilharmonie galvanisé, qui brille de tous ses feux, c’est tellement éclatant qu’on ne boude pas notre plaisir. 

Il est de tradition qu’un orchestre en tournée à l’étranger joue un bis. Il y en aura deux, très courts. D'abord un Vol du Bourdon (extrait du Tsar Saltan de Rimski-Korsakov), quelque peu anecdotique (n’était-ce une mimique du chef d'orchestre, à la fin, balayant du revers de la main un insecte imaginaire sur son épaule). Puis la Danse russe de Casse-Noisette (qui nous rappelle quel génial compositeur de ballet était Tchaïkovski), pleine de vitamines, que Stanislav Kochanovsky s’amuse à ne diriger qu’avec des mouvements de tête. Le public est définitivement conquis. L’orchestre peut s’en réjouir, et, à en juger par les longues embrassades des musiciens, entre eux, qui ne semblent pas du tout pressés de quitter la scène, semble ne pas s’en priver !

Paris, La Seine Musicale (Auditorium), 18 mars 2025

Pierre Carrive

Crédits photographiques : Chris Lee

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