Entre italianisme et danse française : premier et complet enregistrement des sonates de Pohle

David Pohle (1624-1695) : intégrale de la musique instrumentale. Ensemble Clematis. Brice Sailly, clavecin, direction. Stéphanie De Failly, violon, direction. Avec Amandine Solano, Ellie Nimeroski, violon. Samantha Montgomery, Jorlen Vega Garcia, Roberta Michelini, alto. Sarah Van Oudenhove, viole de gambe. Jérôme Huille, violoncelle. Anaïs Ramage, Jérémie Papasergio, basson. Fabien Moulaert, trombone. Lucie Chabard, Guy Penson, clavecin, orgue. Septembre 2021, mai & octobre 2022. Livret en anglais, français et allemand. Digipack 2 CDs. TT 78’46 + 73’39. Ricercar RIC 460
Hormis ce que racle le squelette, on n’a pas bien saisi le lien entre la pochette (La Mort jouant du violon, de l’Anversois Frans Francken le Jeune) et le contenu de ce double-album, qui nous propose plutôt une résurrection. On croise certes parfois la musique sacrée de David Pohle (récemment avec Vincent Bernhardt) voire ses sonates au détour d’anthologies, mais c’est l’intégralité du catalogue instrumental qui nous est ici annoncée, et pour la première fois au disque. Digne cadeau pour le quatre-centième anniversaire du compositeur ! Une exhumation permise par la récente édition chez Prima la musica, s’appuyant sur les recherches de Gottfried Gille, qui cultive depuis un demi-siècle une expertise sur le sujet puisqu’il est l’auteur d’une thèse pour l’université de Halle en 1973. Ce musicologue nous explique dans la notice comment il a pu reconstituer les parties manquantes.
Des suites de danses, et une trentaine de sonates, dont la majorité provient de manuscrits non publiés, conservés à Cassel où le compositeur exerça dans les années 1650, à la cour du landgrave Moritz « le savant ». Une nomenclature essentiellement pour cordes, pour quatre à huit voix, et qui enrôle aussi basson et viole (G.14, G.30), voire le trombone (G.21, CD 2 plage 6). En alternance au clavecin spécifié dans les sources, le présent enregistrement invite aussi orgue positif et régale. Toutes les contributions sont précisées page 8-9.
Trois influences imprègnent ce corpus : l’esthétique italienne dérivée du violoniste mantouan Carlo Farina (c1600-1639), Konzertmeister à Dresde au sein de l’orchestre que dirigeait Heinrich Schütz, dont Pohle fut l’élève. Autre inspiration : la danse du voisin royaume, popularisée en Allemagne du Nord –on se rappellera que le Terpsichore Musarum de Praetorius avait importé ce modèle, fécondé par des mélodies « jouées par les maîtres de danse français et qui peuvent être utilisées pour divertir et charmer les tables et banquets princiers ». Troisième élément de ce code stylistique : l’intelligence polyphonique de la sonate germanique. Aussi clair et instruit qu’à l’habitude, le texte de Jérôme Lejeune explique comment ce creuset investit des formes libres et variées, sans moule préétabli, et en quoi les contrastes préfigurent le Stylus Fantasticus.
Il y a peu à dire de l’interprétation par l’équipe que mènent Brice Sailly et Stéphanie De Failly, si ce n’est que l’articulation et l’expressivité des archets, le rehaut des souffleurs, la pigmentation du continuo brossent une délectable richesse de textures, sans cesse renouvelée par les configurations en jeu, et stimulée par le dynamisme collectif. De ce parcours quelque peu encyclopédique, distillé en quelque deux heures et demie, on aurait pu craindre routine et lassitude. Alors que l’écoute procure un constant plaisir ! Dans le sillage des recueils Ludi Musici de Samuel Scheidt et Banchetto Musicale de Johann Hermann Schein : une captivante découverte. Par son investigation à vaste échelle et son exemplaire prestation instrumentale, l’initiative de Clematis fera date.
Christophe Steyne
Son : 9 – Livret : 9,5 – Répertoire : 9 – Interprétation : 10