Fantaisies vocales et pianistiques de Lord Berners 

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Lord Berners (1883-1950) : Mélodies : Lieder album : Three Songs in the German Manner ; Trois Chansons ; Three English Songs ; Dialogue between Tom Filuter and his Man by Ned the Dog Stealer ; Three Songs ; Red Roses and Red Noses ; Come on Algernon. Pièces pour piano : Polka ; Le Poisson d’or ; Dispute entre le papillon et le crapaud ; Trois petites marches funèbres ; Fragments psychologiques ; Marche ; L’Expulsion du paradis ; Valse. Ian Partridge, ténor ; Len Vorster, piano. 1998. Notice en anglais. 51.45. Naxos 8.554475. 

Le label Naxos a bien mis en évidence la musique de Lord Berners dont, à part peut-être le ballet The Triumph of Neptune de 1926 (Naxos 8.555222), la musique n’est guère connue de ce côté-ci de la Manche. Nous avons présenté, le 18 avril dernier, un autre disque de ballets de cet esthète où figuraient Les Sirènes et Cupid and Psyche (Naxos 8.574370), dont nous avions souligné les facilités d’écriture, l’écoute étant néanmoins agréable. Nous renvoyons le lecteur à cette présentation pour les aspects biographiques détaillés. Rappelons simplement que ce baron qui a fait carrière dans la diplomatie était compositeur, mais aussi romancier et auteur de textes autobiographiques. Lord Berners avait beaucoup de cordes à son arc ; on le résumera ainsi : un aristocrate cultivé et original, amateur d’humour parfois exagéré dans sa vie quotidienne. Sans génie musical, mais pas sans talent, ce que confirme le présent album, réédition du CD Marco Polo 8.225159, paru en 2000.

On a souvent affublé Lord Berners du surnom de « Satie anglais », ce qui est sans doute surfait, mais les mélodies et les pièces pour piano ici rassemblées inclinent à prendre cette référence en considération. Le programme se compose d’une douzaine de miniatures pour le clavier, composées entre 1915 et 1946, et d’une quinzaine de mélodies, écrites entre 1913 et 1944. L’ensemble est bien construit, dans une alternance de moments chantés ou instrumentaux, qui évitent la monotonie. Le style est globalement romantique, mais l’un ou l’autre morceau, au titre original voire même burlesque, rappelle, par sa dérision et son côté satirique, l’avant-garde que le natif de Honfleur offrait de son côté. En tout cas, Lord Berners n’a pas à rougir, en ce qui concerne le piano, des trois minutes du Poisson d’or de 1915, dédiées à Igor Strawinsky, au cours desquelles le petit vertébré, seul dans son bocal, rêve de compagnie, ni de la très brève Dispute entre le papillon et le crapaud de la même année, avec sa vive séquence contrastée. Les trois Fragments philosophiques de 1916 évoquent tour à tour la haine, le rire et un soupir, avec une émotion non dissimulée, tandis que, la même année, Trois petites marches funèbres éclairent un humour subtil, renforcé par les destinataires auxquels elles sont destinées : un homme d’état, un canari et une tante à héritage. Une Polka (1941), une Valse (1943), une Marche et L’Expulsion du paradis (deux feuillets de 1945) complètent un panorama pianistique détendu et plein d’esprit qui procure des moments de détente.

Du côté des mélodies, on apprécie l’érudition de Lord Berners qui s’attarde à Heinrich Heine pour ses trois Lieder à la manière allemande (1913-18) où l’humour un peu gras instillé par le compositeur donne le ton, à côté d’une allusion à l’orientale sur les rois mages lors de la nuit de Noël. Le lyrisme français est présent dans les Trois chansons de 1920, qui illustrent des vers délicats, à l’écriture picturale, de Georges Jean-Aubry (1882-1950), critique littéraire et musical, ami de Debussy, Ravel, Roussel ou de Falla, mais aussi de Joseph Conrad. Les Three English Songs de 1920 et les Three Songs de l’année suivante font appel, pour le premier cycle, à des textes d’un contemporain de Shakespeare, Thomas Dekker, et à ceux de deux poètes anglais du XXe siècle, Robert Graves et Esther Lilian Duff, dont Lord Berners tire une substance où se mélangent la simplicité et la futilité. Le second cycle est basé sur des textes marins, dont l’un est de la main du compositeur. Lord Berners n’oublie pas la fibre satirique ni la charge parodique avec les trois brèves mélodies qui complètent le programme.

Les deux partenaires, le ténor anglais Ian Partridge, qui s’est illustré aussi bien dans Bach et Handel que dans Britten, et le pianiste d’origine sud-africaine Len Vorster, s’entendent à merveille pour donner à ce panorama vocal la dimension légère et ironique qu’il requiert. Dans les pièces pour piano seul, Len Vorster fait preuve du détachement nécessaire et de la fluidité réclamée par une écriture qui sait se révéler charmante, sans se prendre au sérieux. 

Son : 9  Notice : 9  Répertoire : 7  Interprétation : 9

Jean Lacroix      



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