Hommage de Gaëtane Prouvost et Eliane Reyes à l’école franco-belge de violon
Vincent d’INDY (1851-1931) : Sonate pour violon et piano op. 59 ; Andante pour piano et violon. Albert DUPUIS (1877-1967) : Sonate pour violon et piano. Ermend BONNAL (1880-1944) : Après la tourmente, pour violon et piano. Gaëtane Prouvost, violon ; Eliane Reyes, piano. 2019. Livret en français et en anglais. 75.44. EnPhases ENP007.
« Ce disque rend hommage à l’école franco-belge de violon », stipule une note de la pochette extérieure (sur laquelle les dates de naissance et de décès de Vincent d’Indy et Albert Dupuis ont été malencontreusement inversées). L’hommage se situe aussi dans le partenariat des interprètes puisqu’aux côtés de notre compatriote, la pianiste Eliane Reyes, on trouve la violoniste française Gaëtane Prouvost. Elles proposent un programme peu courant, qui associe les Français Vincent d’Indy et Joseph-Ermend Bonnal et le Belge Albert Dupuis, qui travailla pendant trois ans à la Schola Cantorum auprès de d’Indy, entre 1897 et 1900.
C’est à l’été 1903 que Vincent d’Indy entame la composition de sa Sonate pour violon et piano pendant un séjour en Ardèche, mais il en avait inscrit une ébauche mélodique sept ans auparavant. Il y met la dernière main l’été suivant. L’œuvre est créée à Paris le 3 février 1905 par le compositeur et un violoniste belge qui en est le dédicataire, Armand Parent (1863-1934) ; quelques jours plus tard a lieu la première bruxelloise. A l’époque, on a vu dans cette sonate le pendant de celle de César Franck, mais elle ne devait jamais atteindre le même degré de popularité. On y découvre pourtant de somptueux moments mélodiques, bâtis selon un procédé cyclique qui, à partir du Modéré initial, va nourrir les trois autres mouvements. On est séduit par le lyrisme intense qui se dégage de l’ensemble et par un dialogue violon - piano qui alterne la finesse, le charme, la sensibilité et l’élégance avec un sens du rythme léger et plein de mobilité, dans un contexte qui permet de belles envolées du violon mais aussi des traits pianistiques sous forme d’arpèges ou pleins de fougue. Cette belle sonate mérite beaucoup mieux qu’une sorte de respect dédaigneux qui lui est souvent attribué. Les deux solistes du présent CD lui donnent de vraies lettres de noblesse à travers un engagement qui n’est jamais pris en défaut. Elles n’oublient pas non plus que, dans cette partition, certains échos debussystes apparaissent, de façon fugitive certes, mais en tout cas naturelle. En complément à la sonate, on découvre un bref Andante, demeuré inédit, composé en 1876 au moment où d’Indy va à Bayreuth pour la première fois. Il est dédié au violoniste et altiste Jean Bernis (1857-1889) ; c’est une page aux accents nobles et dépouillés.
Née à Lille en 1954, Gaëtane Prouvost a étudié au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, puis à la Juilliard School. Elle va faire une rencontre décisive, celle de Zino Francescatti (auquel elle a consacré un livre en 1999 avec Charles de Couëssin, paru aux éditions L’Harmattan), dont la chaleur expressive des interprétations la fascine. Chambriste de grand talent, Gaëtane Prouvost a enregistré notamment des sonates de Pierné et de Louise Farrenc avec Laurent Cabasso (Intégral Classic) et de Prokofiev avec Abdel Rahman El-Bacha (Forlane). Sa partenaire, notre compatriote Eliane Reyes, est née en 1977 à Verviers. Artiste au talent précoce, formée d’abord par sa mère, elle donne un récital dès ses cinq ans, se fait remarquer par György Cziffra, puis par Martha Argerich. Elle étudie au Conservatoire Royal de Bruxelles, puis à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth auprès de Jean-Claude Vanden Eynden. Ce sera ensuite Berlin, Salzbourg, l’Institut Lemmens à Louvain et le Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. Aujourd’hui professeur au Conservatoire de Bruxelles et à celui de la capitale française, Eliane Reyes a enregistré une série de CD en soliste ou en musique de chambre qui montrent sa curiosité et son éclectisme : les noms de Tansman, Bacri, Lysight ou Godard y figurent notamment, aux côtés de Chopin, Milhaud ou Debussy. La complicité entre les deux partenaires est ici d’une absolue évidence dans un programme lui aussi éclectique. Elles font preuve toutes deux d’un sens aigu de la précision, dans une atmosphère lyrique qui se déploie avec raffinement et élégance dans les pages de Vincent d’Indy, mais aussi dans les autres pièces du parcours.
En complément, la délicate romance du Bordelais Joseph-Ermend Bonnal, qui fut organiste, pianiste et compositeur, est une belle découverte ; elle est dédiée à la Reine Elisabeth, après la première guerre mondiale, sans doute en 1919. Mais on appréciera surtout l’ajout de la Sonate d’Albert Dupuis, en première mondiale, révélatrice d’une superbe inspiration mélodique. Ce Verviétois qui a étudié au Conservatoire de sa cité natale, a travaillé trois ans avec d’Indy, nous l’avons déjà précisé, a remporté le Prix de Rome belge en 1903 avant de devenir chef d’orchestre à Gand, puis d’être nommé directeur du Conservatoire de Verviers, poste qu’il occupera pendant près de quarante ans. L’influence de l’école franckiste, mais aussi des réminiscences fauréennes, sont sensibles dans cette partition de 1922 à la construction cyclique, qui rappelle la parenté avec d’Indy, dans un climat d’une profonde expressivité, très lyrique, avec des élans rêveurs, fougueux ou enflammés, que Gaëtane Prouvost et Eliane Reyes détaillent avec un souci du détail aussi prononcé que dans leur démonstration des autres pièces de ce très beau CD qui s’éloigne avec bonheur des sentiers fréquentés. L’enregistrement a été réalisé en juillet 2019 au Studio de Stephen Paulello, situé entre Fontainebleau et Sens, à Villethierry. Une notice de ce concepteur de pianos explique la structure des différents modèles sortis de ses ateliers, notamment un clavier à 102 touches, dont la photographie est reproduite.
Son : 9 Livret : 9 Répertoire : 9 Interprétation : 10
Jean Lacroix