Incandescente Semele au Théâtre des Champs Elysées
La nouvelle coproduction de l'Opéra Royal de Londres et du Théâtre des Champs Elysées, portée par une distribution homogène, met à l'honneur les débuts baroques de la soprano sud-africaine Pretty Yende. La mise en scène, fidèle aux standards londoniens, a également tout pour séduire.
Intéressante histoire que la création de Semele en 1744 sous-titré « à la manière d’un oratorio » afin de séduire le plus large public possible… pour ne finalement rencontrer qu’un succès mitigé lors de sa première. S’il est aujourd’hui un point commun entre Covent Garden et le TCE, peut-être ce dernier réside t’il dans leurs modèles de financements respectifs où la propension des subventions publiques dans les budgets globaux est, sinon nulle –avenue Montaigne- du moins tout à fait marginale -Bow street-. Conséquence logique, le taux de remplissage des productions lyriques est une condition sine qua none de la bonne santé financière de ces deux institutions et implique nécessairement un succès public de chaque production lyrique, se ressentant logiquement sur les mises en scènes.
Derrière l'apparente simplicité de son propos ainsi que son accessibilité manifeste, la production d’Oliver Mears -également directeur de la RBOH-, se caractérise tant par son délicieux soucis du détail ainsi que la multiplicité des niveaux de lecture -pour lesquels les lauriers reviennent également à Sarah Fahie - que par le revirement particulièrement sombre et explicite s’en suivant. L’intrigue est déplacée dans un intérieur cossu des années 70 et la relecture est assurément classiste. Les humains sont désormais le personnel de maison ; les Dieux, les propriétaires. A y regarder de plus près, certains éléments trahissent déjà le dénouement tragique. Le rideau de scène est en réalité une reproduction de la grille de la cheminée et, lorsque ce dernier se soulève pour la première fois. On aperçoit alors Sémélé débarrassant des cendres, que l’on devine être ensuite les restes de son infortunée prédécesseuse, dans une urne funéraire. Trois enfants apparaissent par deux instants. On comprend finalement que ce sont les fruits des précédentes infidélités du maître des lieux, en témoignent les 8 urnes funéraires dissimulées au-dessus de la cheminée.
L’ouverture réussit alors à exposer en moins de 5 minutes non seulement le sort final attendant la protagoniste que les rapports humains régissant l’ensemble des relations des différents personnages. Apparaissent ainsi les avances de Jupiter vers Sémélé et la découverte de ces dernières par Junon justifiant ainsi le mariage imposé avec Athamas. Pour le reste, soulignons le travail d’orfèvre continu aux lumières de Fabiana Piccioli, les décors remarquables d’Annemarie Woods -mention toute particulière à l’antre de Somnus et à sa montagne de bouteilles- ainsi que les chorégraphies de Sarah Fahie, permettant une utilisation particulièrement efficiente des danseurs/comédiens Lauren Bridle, Bridget Lappin, Bailey Pepper et David Rawlins.
Très attendue pour ses débuts baroques, Pretty Yende livre pour le rôle-titre une prestation particulièrement remarquée. D’un point de vue technique, l’on note la grande clarté de l’articulation et la très bonne longueur de souffle, y compris dans les passages récitatifs. Le timbre demeure cristallin et conserve son velours, y compris dans les aigus de la tessiture. La technique est évidemment virtuose et d’un naturel désarmant, en témoignent les vertigineuses vocalises de « No, no, I’ll take no less than all in full excess » toutes exécutées piano ou encore celles d’ « Endless pleasure, endless love » tout en finesse. D’un point de vue dramatique, on ne peut également que saluer l’investissement scénique, allant de l’amoureuse transie à la fin premier acte aux déchirants accents de l’agonie du « Too late I now repent ».
Alice Coote livre quant à elle en Junon une petite démonstration de déclamation dans les récitatifs, faisant la part belle à la construction dramaturgique de son personnage et des différents sentiments la tiraillant ; le cuivre du timbre seyant remarquablement à la clarté des voyelles. La présence scénique ne s’en retrouve que décuplée et la légère baisse de projection en fin de phrase longue demeure cohérente avec la proposition visuelle. En Athamas, Carlo Vistoli déploie une bonne musicalité ainsi qu’une technique maîtrisée, nonobstant une sensible baisse de la projection en fin de phrase dans les plus longs passages vocalisant. L’Ino de Niamh O'Sullivan se distingue par l’excellence de ses récitatifs, remarquables d’expressivité. Le timbre large, est serti d’un vibrato sobrement dosé ainsi que de très bonnes articulation et clarté des voyelles.
En Jupiter, Ben Bliss déploie de longues lignes de chant durant lesquelles le duro du timbre est accentué. La longueur de souffle est particulièrement remarquée et la technique agile ; quand bien même, la netteté des notes pourrait être perfectible, durant une ou deux trille. N’hésitant pas à prendre le contrepied du texte dans ses passages les plus… jupitériens, le passage plus tragique sur les notes longues de " 'Tis past, 'tis past recall" est en revanche singulièrement poignant. Dans les rôles de Cadmus et Somnus, Brindley Sherratt déploie un timbre rond et large au caro particulièrement présent. Si les voyelles manquent par moment de clarté durant la première scène, les notes longues de "Leave me, loathsome light" démontrent également une musicalité remarquée. Finalement, en Iris, Marianna Hovhannisyan met en exergue le lyrisme de son timbre ainsi que sa tessiture légère et fait également état d'une agilité technique manifeste.
Dans la fosse, Emmanuel Haïm livre une direction précise et énergique, dont l’on retrouve logiquement les fruits dans le rendu de « son »Concert d’Astrée, tout en souplesse et précision sans pour autant être dénué d’une étonnante profondeur sonore dans les tutti. Si l’on note la richesse des couleurs des attaques des cordes, c’est aussi la diversité des irisations successives qui impressionne ce soir. De l’extrême lascivité sur « Endless pleasure, Endless Love », l’on passe sans coup férir à des pulsations particulièrement marquées sur « Hence, hence, Iris hence away ». Les quelques réserves que l’on pouvait avoir quant à la prononciation du vieil anglais du chœur en début de série sont désormais réduites à peau de chagrin. De l’expressivité exacerbée du « Oh, terror and astonishment » à la lisibilité des quatre voix distinctes dans « Happy, happy shall we be », les 24 chanteurs sous la direction de Richard Wilberforce livrent une prestation toute en majesté aussi investie qu’appréciée.
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 15 février 2025
Axel Driffort
Crédits photographiques : © Vincent Pontet