Jean-François Heisser et l’alchimie du son de Ravel
Maurice Ravel (1875-1937) : Concerto pour piano et orchestre en sol ; Ma Mère l’Oye, cinq pièces enfantines, version orchestrale ; Le Tombeau de Couperin, suite d’orchestre ; Pavane pour une infante défunte, transcription pour orchestre. Orchestre de chambre Nouvelle-Aquitaine ; Jean-François Heisser, piano et direction. 2020/21. Notice en français et en anglais. 59’. Mirare MIR 582.
Originaire de Saint-Étienne où il a entamé sa formation, Jean-François Heisser (°1950) a étudié le piano au Conservatoire de Paris avec Vlado Perlemuter (1904-2002), un élève de Moritz Moszkowski et d’Alfred Cortot. Perlemuter joua des œuvres de Ravel devant le compositeur et bénéficia de séances de travail avec lui. La transmission du bagage ravélien passe aussi par son disciple Heisser qui, au-delà de sa carrière de soliste et de pédagogue, occupe, depuis un quart de siècle, la fonction de directeur artistique et musical de l’0rchestre de chambre Nouvelle-Aquitaine, dont le port d’attache est à Poitiers. Fondée en 1981, cette formation de 45 à 50 musiciens, d’abord nommée Orchestre Poitou-Charente, a enregistré une quarantaine de disques qui vont de Beethoven à Manuel de Falla ou Alban Berg, notamment chez Mirare. Pour ce label, Heisser, qui aime aussi diriger du piano, propose un programme Ravel qui vient s’inscrire dans la commémoration des 150 ans de la naissance, le 7 mars 1875, du natif de Ciboure. Les gravures ont été effectuées en décembre 2020 et janvier 2021 au Théâtre Auditorium de Poitiers et ont été préservées jusqu’à cette cuvée événementielle.
Dans la notice qu’il signe lui-même et qui est précédée par un portrait du compositeur au quotidien par Jean Echenoz, auteur du roman Ravel (Éditions de Minuit, 2006), Heisser évoque son admiration pour son professeur Perlemuter et des souvenirs liés à ses concerts, ainsi que son envie de partager cette émotion irrésistible qui nous conduit au jardin féerique de Maurice Ravel. Pour rendre concrète l’alchimie choisie comme titre du présent album, Heisser joue d’abord le Concerto pour piano en sol de 1931, dont il livre une version sensible et sans effets, nimbée de clarté et de chaleur poétique, qui trouve dans l’Adagio assai une respiration détendue. Les leçons de Perlemuter, qui se révélait peut-être plus coloré, ont évolué vers une liberté d’accents qui font écho à une prestation orchestrale bien timbrée, avec des instruments qui savent se révéler vifs et nuancés. Une version attachante, qui ne bouleverse pas la discographie, mais s’inscrit avec élégance parmi les gravures à saluer.
Les qualités individuelles de la formation de Nouvelle-Aquitaine, mises en évidence dans le concerto, se confirment dans les trois pages orchestrales qui complètent le programme et, comme le souligne Jean-François Heisser, ponctuent à intervalles réguliers ou presque la carrière du compositeur. D’abord destinées au piano, elles ont été orchestrées ultérieurement. L’intimité des cinq pièces enfantines de Ma Mère l’Oye, suite pour orchestre de 1911, retrouve une partie de l’envoûtement des contes de Perrault à travers de subtiles évocations que l’on aurait souhaitées encore plus fraîches, à l’instar, par exemple, de la réussite de Pierre Monteux. Le Tombeau de Couperin, tout en fluidité et en finesse, avec des couleurs bien marquées, et la Pavane pour une infante défunte, avec sa séduction et sa grâce raffinée, montrent que Heisser est aussi un ciseleur d’imaginaire.
Cet album de connivences ravéliennes offre une belle diversité de la création du compositeur, dans un style fin et sensible, dont on saluera la qualité globale.
Son : 9 Notice : 10 Répertoire : 10 Interprétation : 8,5
Jean Lacroix