Julian Kainrath, prix découverte des ICMA 2022

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Le violoniste Julian Kainrath a remporté, à seulement 17 ans, le Prix "Découverte" des International Classical Music Awards 2022.  A l’occasion du gala 2022 des ICMA, il interprètera l’Introduction et Rondo capriccioso de Saint-Saëns avec  l'Orchestre Philharmonique du Luxembourg dirigé par Ádám Fischer. Le jeune homme répond aux questions de notre confrère Nicola Cattò (Musica, Italie) 

Vous êtes né dans une zone frontalière, entre différentes langues (l'italien, l'allemand, et l'espagnol de votre mère bolivienne) et des cultures parfois éloignées. Comment avez-vous vécu ce fait ? Était-ce un enrichissement ou une difficulté ?

C'est vrai, ma mère est sud-américaine et je parle espagnol avec elle ; mon père est de Bolzano, à la frontière entre l'Autriche et l'Italie, et je parle allemand avec lui, tandis que mes parents utilisent l'italien entre eux ! Pour cette raison, je suis d'avis que toute approche d'autres cultures enrichit les artistes, les musiciens. Mais pas seulement, elle enrichit tout être humain. Chacun devrait s'intéresser aux cultures éloignées de la sienne. J'ai connu cette diversité depuis que je suis enfant, cela a toujours été quelque chose de naturel pour moi.

Dans quelle mesure vous sentez-vous plus autrichien ou d'Europe centrale, et dans quelle mesure êtes-vous italien ?

Cette question de l'identité est compliquée. Je n'ai pas le sentiment d'appartenir à une nation mais à un continent, l'Europe, et ce d'autant plus dans un moment aussi difficile que celui que nous vivons. Je me sens représenté par les valeurs européennes.

Vos deux parents sont des professionnels de la musique, vous avez donc grandi dans cet univers. Comment avez-vous choisi le violon ?

C'est ma mère qui me l'a suggéré, car c'était l'un des instruments les plus confortables à transporter ! Plus sérieusement, j'ai commencé à l'âge de six ans, et petit à petit, je me suis passionné pour cet instrument. J'ai surmonté des moments de doute, qui sont naturels et nécessaires, mais à 13-14 ans, j'ai compris qu'avec le violon je pouvais exprimer ce que j'ai en moi, et que ce serait mon métier.

Vous avez étudié avec Dora Schwarzberg, une représentante typique de l'école russe du violon. Que vous a-t-elle enseigné ?

J'ai commencé à travailler avec elle quand j'étais enfant, vers l'âge de neuf ans. J'ai appris d'elle un véritable amour de la musique, du jeu et du plaisir d'écouter. Elle organisait des concerts le soir chez elle, où je rencontrais des artistes, des musiciens, des peintres, des intellectuels, des jeunes gens talentueux : j'étais un enfant et je bénéficiais d'un privilège unique. Bien sûr, elle m'a donné beaucoup d'expérience technique et pédagogique, mais surtout elle m'a fait comprendre que la musique est une belle chose, pas une contrainte ou une imposition.

Depuis quelque temps, cependant, vous travaillez avec un instrumentiste très différent, Marc Bouchkov : quelles différences avez-vous constatées ?

Je l'ai rencontré à Verbier en 2019, et avant cela je l'avais entendu au Concours  Tchaïkovsk où j'avais été impressionné par la sensibilité de sa sonorité : je suis alors tombé amoureux de la personne, aimante et ouverte à toute nouvelle idée. Sur le plan violonistique, il est difficile de faire des comparaisons avec Dora Schwarzberg. À l'époque, je devais me former techniquement, alors que maintenant j'apprends à exalter la pureté du son, la sensibilité de l'archet et des doigts. C'est vraiment une question physique, je dirais. Mais je voudrais ajouter que depuis l'âge de 12 ans, je suis également le professeur Kuschnir à l'Université de Graz. Le travail que j'ai fait avec lui est quelque chose que lui seul pouvait me donner, en raison de l'unicité de l'approche. En bref, chacun a une façon différente de travailler, mais c'est ce qui rend ce métier si beau : la variété, la créativité que l'on peut avoir aussi bien en studio qu'en concert.

Vous avez également chanté pendant quelques années dans le chœur d'enfants de l'Opéra d'État de Vienne…

C'est vrai, je l'ai fait pendant presque quatre ans. Pour un enfant, c'est un engagement lourd, fait d'études et de longues attentes dans les coulisses. J'ai rejoint la chorale parce que j'aimais chanter, peut-être plus que jouer du violon. Après tout, quand j'avais trois ou quatre ans, j'écoutais Rigoletto, Aïda, j'étais fou de ces drames ! J'ai vécu des expériences inoubliables, mais j'ai dû abandonner lorsque ma voix a changé.

Quels violonistes vous inspirent, parmi ceux d'hier et d'aujourd'hui ?

C'est peut-être trivial, mais certainement Heifetz, Oistrakh, Kogan ou, en remontant encore plus loin, Thibaud et Kreisler dont nous avons relativement peu d'enregistrements mais qui constituent un document précieux sur le plan stylistique. Il n'y a pas de vérité absolue en art et en musique : tout est subjectif, même dans les questions techniques qui dépendent de la structure physique de chaque musicien. Parmi les collègues d'aujourd'hui, j'apprécie évidemment Marc Bouchkov, le jeune Canadien Kerson Leong, et Frank Peter Zimmermann, un fondamentaliste dans le domaine.

Votre père, Peter Paul, est depuis longtemps Président du Concours Busoni et maintenant aussi de la Fédération mondiale des concours internationaux de musique (WFIMC). J'aimerais donc vous demander ce que vous pensez des concours de musique…

Ils ne sont pas indispensables pour faire carrière, surtout de nos jours. On peut faire carrière même sans en gagner un. Mais ils font partie de notre monde, et l'important est de comprendre lesquels sont vraiment utiles et importants : aujourd'hui, ils se sont multipliés jusqu'à atteindre des chiffres vraiment exagérés. Le secret, à mon avis, est de considérer le Concours comme un concert particulier, peut-être très fatigant, mais sans jouer différemment de d'habitude : si cela fonctionne, vous serez invité à nouveau, sinon ce n'est pas un drame.

Le violon vous a-t-il pris quelque chose dans la vie ? Du temps, de la liberté, des expériences ?

Je ne le pense pas. Si ce n'était pas le violon, il y aurait eu autre chose à quoi consacrer mon temps. Et je suis heureux de cette façon.

Vous avez remporté le Prix " Découverte ICMA" devant d'autres musiciens nommés par la Musikakademie Liechtenstein, dont vous êtes boursier : que représente ce prix pour vous ?

Ce qui est merveilleux dans cette institution, c'est la coexistence d'étudiants, de jeunes musiciens et d'artistes qui partagent non seulement leurs études mais aussi leur vie, leurs moments personnels : quelque chose d'unique, qu'il est difficile de trouver ailleurs. Je suis très reconnaissant à cette institution car j'ai eu des opportunités rares.

Et les prochains projets ?

Tout d'abord, terminer le lycée l'année prochaine, et ensuite une série de concerts avec Louis Lortie. Mais tout est très ouvert, j'aime l'idée de ne pas connaître mon avenir, d'être surpris !

Propos recueillis par Nicola Cattò

Traduction et adaptation Michelle Debra et Pierre-Jean Tribot pour Crescendo Magazine.

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