Kissin, un pianiste beethovenien ?
Une fois encore, pour sa série ‘Les Grands Interprètes’, l’Agence Caecilia invite Yevgheny Kissin, l’une des valeurs sûres que l’on entend régulièrement à Genève dans un répertoire des plus variés ; il se montre souvent bien plus convaincant dans le répertoire de virtuose que dans le domaine classique : l’on a ainsi gardé en mémoire une 32e Sonate opus 111 de Beethoven au style indéfini balayé par le supplément au deuxième cahier des Années de Pèlerinage de Liszt, un Venezia e Napoli à vous laisser pantois !
En ce 18 février 2020, bicentenaire oblige, son récital est entièrement consacré à Beethoven et commence par une page célèbre, la 8e Sonate en ré mineur op.13 dite ‘Pathétique’. Du Grave initial, il extirpe un souffle tragique en appuyant les graves qui contrastent avec une articulation de la main droite produisant un coloris clair ; l’Allegro di molto qui s’y enchaîne révèle une tendance à insister sur l’accentuation, quitte à déséquilibrer le discours. Le célèbre Andante cantabile reste à la surface, donnant l’impression qu’il est peu habité, tandis que le Rondò Allegro, extrêmement rapide, attire l’attention sur l’entrelacs contrapuntique. Les Variations en mi bémol majeur op.35 ‘Eroica’ exhibent la même dichotomie entre cette volonté de faire chanter le motif fameux qui figurera dans le Finale de la Troisième Symphonie et ces tutti pesants comme des colonnes d’airain étouffant la veine mélodique qui, par chance, retrouvera une certaine brillance dans le fugato conclusif.
En seconde partie, ‘La Tempête’, la 17e Sonate en ré mineur op.31 n.2 prend forme par un arpège à fleur de clavier que les croches, liées par deux, corseront en rendant le dessin anguleux et le trait maniéré sur une basse vrombissante. Quelque peu ostentatoire, le cantabile de l’Adagio développe habilement le procédé alternatif des questions et réponses, quand le Finale impressionne par le délié du jeu voilant une main gauche grondante. Et c’est finalement la Sonate ‘Waldstein’, la 21e en ut majeur op.53, qui bénéficie du meilleur sort : d’un ostinato impétueux se détache une ligne de chant radieuse qui conservera son éclat dans les traits épineux, tandis qu’une véritable expression sous-tend l’échange de segments mélodiques entre les extrémités de tessiture ; et le Rondò final est irisé de demi-teintes rassérénées rendant naturelle l’alternance du couplet et du refrain.
En bis, l’époustouflante technique retrouve ses droits avec deux des Bagatelles et les Variations sur la Marche Turque des ‘Ruines d’Athènes’, nous montrant l’artiste sur son terrain d’élection, la virtuosité.
Paul-André Demierre
Genève, Victoria Hall, le 18 février 2020