La connaissance de la musique de Hans Winterberg s’élargit
Hans Winterberg (1901-1991) : Symphonie n° 1 « Sinfonia drammatica » ; Concerto pour piano et orchestre n° 1 ; Rhythmophonie. Jonathan Powell, piano ; Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin, direction Johannes Kalitzke. 2021. Notice en allemand et en anglais. 64.42. Capriccio C5476.
La musique de Hans Winterberg rencontre un regain d’intérêt depuis un tout petit nombre d’années, mais elle aurait pu encore demeurer dans l’ombre pendant une décennie. Les archives de ce juif tchèque naturalisé allemand, déposées à Ratisbonne, prévoyaient par contrat que le feu vert à leur accès devait attendre le 1er janvier 1931, mais une décision de justice a cassé cette réserve en 2015. Depuis lors, en particulier depuis 2019, le label Toccata a proposé des programmes d’œuvres pour piano et de musique de chambre en 2020 et 2021, tandis que, sous étiquette Pierian, des pages orchestrales ont été enregistrées en 2019, notamment la Symphonie n° 1, par le Philharmonique de Munich placé sous la direction de Karl List. Maintenant, c’est Capriccio qui met en évidence trois partitions.
Hans Winterberg accomplit ses études dans sa ville natale, Prague, où il est un élève de Alois Hába (1893-1973) ; parmi ses condisciples et amis, figure Gideon Klein, qui mourra au camp de Fürstengrube au début de 1945, à peine âgé de 25 ans. Les premières attirances de Winterberg sont pour Debussy et Wagner, mais bientôt son professeur, Paul Hindemith et surtout Arnold Schoenberg vont l’influencer. Il travaille comme répétiteur à Brno et commence à composer. La seconde guerre mondiale va toutefois handicaper sa carrière : comme la plupart des Juifs de Prague, il parle l’allemand. Il arrive à échapper aux persécutions nazies, mais, en raison des lois raciales, est obligé, pour préserver sa famille, de divorcer en 1944 de son épouse catholique romaine, avec laquelle il s’est marié en 1930 et qui lui a donné une fille. Début 1945, il est interné au camp de Theresienstadt, d’où il est libéré en mai. Winterberg avait eu la prudence d’envoyer ses manuscrits à l’étranger ; après le conflit, il sollicite et obtient un passeport pour aller les récupérer et s’installe bientôt à Munich. En Allemagne, dont il deviendra un citoyen, il enseigne et travaille pour la radio bavaroise. Il finira par se consacrer uniquement à la composition, ainsi qu’à une autre de ses passions : la peinture, et achèvera son existence dans une localité rustique de Haute-Bavière. Il laisse un catalogue où l’on trouve de la musique orchestrale et concertante, des ballets, des pages pour le piano, des pièces vocales, beaucoup de musique de chambre et un oratorio inspiré par la légende de Saint Julien l’Hospitalier, tirée des Trois Contes de Gustave Flaubert.
Le présent album propose trois partitions d’époques différentes de la carrière de Winterberg.
La Symphonie n° 1 « Sinfonia drammatica » date de 1936. Le compositeur considérait lui-même qu’il fallait y voir une sorte de prémonition de la seconde guerre mondiale. De brève durée globale (un peu moins de seize minutes) et en un seul mouvement, elle présente un caractère déchiré, contrasté, parfois sombre et même lugubre, avec une avancée de plus en plus marquée par une instrumentation dissonante qui accentue le climat « dramatique », comme l’indique le sous-titre, avant de se diluer dans un environnement instrumental mystérieux et mélancolique qui engendre de la tristesse, des formes ironiques s’y ajoutant de temps à autre. Cette Symphonie n° 1 s’achève dans une atmosphère qui semble porter tout le poids d’un avenir incertain.
Le Concerto pour piano n° 1 de 1948 est un témoignage de l’après-guerre, lorsque Winterberg émigre. C’est sa première œuvre achevée après son installation en terre bavaroise. Lui aussi de courte durée (un peu plus de quinze minutes), il offre un paysage polyrythmique et polytonal. Le pianiste britannique Jonathan Powell (°1969), spécialisé dans les partitions peu fréquentées, signe une note dans laquelle il évoque des lignes mélodiques fracturées. Après un Prélude fluide dans lequel le piano, vif, se développe très vite, le second mouvement, Intermezzo, est en pleine rupture avec le précédent. Il s’agit d’une sorte de marche funèbre, assez statique, que le piano entame avec une léthargie douloureuse. Les cordes et les vents vont alléger cette dimension émotionnelle par un crescendo, avant que le piano ne conclue dans un climat de mystère. Contraste complet dans le Nachtspiel final, très rythmé, avec une longue cadence centrale vigoureuse. Le concerto se termine par un dialogue piano-orchestre qui s’arrête abruptement.
Les partitions qui précèdent ne sont pas directement séduisantes, l’interprétation ne les mettant pas assez en valeur et la prise de son manquant de clarté. Le pianiste, avare de couleurs, comme l’orchestre du RSO de Berlin mené par un Johannes Kalitzke (°1959) placide et soulignant peu les contrastes, ne donnent qu’une version insatisfaisante d’un univers musical qui demanderait un investissement plus incisif. On apprécie mieux, par contre, la lecture plus engagée de Rhythmophonie qui complète le programme, même si là aussi des baisses de tension apparaissent. Cette composition plus tardive (1966/67) est le reflet d’une période de stabilité revenue (la notice précise que Winterberg en est alors à son quatrième mariage, et que celui-ci est heureux) et peut-être d’une confiance du compositeur en ses propres moyens musicaux. Ce triptyque symphonique (trente-cinq minutes) pour lequel nous reprendrons à notre compte ce qu’en dit le signataire de la notice, Michael Haas, apparaît comme un kaléidoscope aux rythmes rappelant ceux d’un ballet, parfois en réminiscence de l’excitation du Mandarin merveilleux de Bartók, avec des arrangements de mélodies populaires et des moments de dissonance très marquée, surtout dans le mouvement initial. Suit une sorte d’hymne à la nature à la poésie allusive, non descriptive, mais évocatrice des senteurs des forêts assoupies, L’utilisation du célesta, du glockenspiel, de cloches et du xylophone participent à cette magie sonore. La percussion accompagne l’orchestre entier dans un final puissamment explosif.
Un album inégal pour une musique méconnue que l’on souhaiterait réentendre dans des conditions de qualité sonore et interprétative plus en phase.
Son : 7 Notice : 9 Répertoire : 8 Interprétation : 7
Jean Lacroix