La densité de la matière : Carlos Païta face à Brahms et Beethoven
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Johannes Brahms (1833 - 1897) : Symphonie n° 1 en ut mineur, Op.68 ; Concerto pour violon en ré majeur, Op.77 ; Ludwig van Beethoven (1770 - 1827) : Symphonie nᵒ 5 en ut mineur, op. 67 et Symphonie nᵒ 7 en la majeur, op. 92. Ayla Erduran, violon ; The National Philharmonic Orchestra of London, The Philharmonic society of London, direction Carlos Païta. 1981-1985. Livret en français et anglais. 77’55’’ et 75’18’’. 2 CD Palais des dégustateurs. PDD040
Suite de l'exploration du legs musical de Carlo Païta par le Palais des Dégustateurs avec un double album qui nous permet de trouver des gravures mythiques dans des symphonies de Brahms et Beethoven mais aussi de redécouvrir le concerto pour violon de Brahms avec la violoniste turque Ayla Erduran, récemment décédée et à laquelle de cette réédition est dédiée.
Le premier disque met la barre très haut avec une phénoménale Symphonie n°1 de Brahms. Dès les premières mesures, le chef impose une tension totale scandée par le pouls marqué par le timbalier. Le geste est imposant par l’ampleur dramatique donnée à cette lecture, c’est une puissance musicale de plaques tectoniques qui vibrent. Carlos Païta ne force jamais ni le trait ni les tempos qui permettent à cette lecture de se déployer avec l’impact requis. On pense à Furtwangler, à Guilini, à Dorati ou à Svetlanov, par le mix entre le charisme de la direction et la puissance dramaturgique du geste. L’orchestre chauffé à blanc fait bloc et suit cette baguette dans ses inflexions et ses fulgurances. Le National Philharmonic Orchestre s’impose comme magistral d’engagement. Tout au long des quatre mouvements, la tension ne baisse jamais, portée par cet élan implacable. Bien évidemment le dernier mouvement et sa coda sont irréductibles comme force magmatique en fusion. Cette lecture inflexible et intraitable est une pierre angulaire de la discographie.
Il faut un moment pour revenir sur terre et on ne conseille pas aux auditeurs d’enchaîner immédiatement avec les symphonies de Beethoven, dont la 7e est proposée directement en complément à ce Brahms. Pourtant, cette lecture de la Symphonie n°7, peut-être moins immédiatement frappante d’un point de vue de la dramaturgie musicale, est digne d'éloges par cette gestion de la tension dans une gradation idéale de la construction musicale. Charisme et panache sont toujours présents avec un final évidemment vitaminé et puissant de cette "apothéose de la danse". Même topo avec la Symphonie n°5, dense et héroïque, traversée par un élan remarquable, en particulier dans l’Allegro final, virtuose et galvanisant. On regrette juste dans cette symphonie, un orchestre certes vaillant, mais un peu plus abrasif de fini.
Enfin, savourons l’excellent Concerto pour violon de Brahms porté par l’archer inspiré et solaire Ayla Erduran. On y découvre un Carlos Païta accompagnateur attentionné et attentif de sa soliste. Une lecture à découvrir.
Dès lors, difficile de ne pas récompenser chaudement ce coffret. Bien évidemment, la Symphonie n°1 de Brahms est une immense réussite, sans doute l’une des plus magistrales de la discographie. Les amateurs de directions se régaleront du panache de la baguette dans les Symphonies n°5 et n°7 de Beethoven traversées de fulgurances. Enfin, la découverte du concerto de Brahms par Ayla Erduran est également un motif de grande satisfaction.
Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 10 – Interprétation : 10
Pierre-Jean Tribot