La grâce et l'intelligence au service du charme de Sarasate

par

JOKERPablo de SARASATE (1844-1908)
Danses espagnoles-Jota aragonesa opus 27-Serenata andaluza op. 28-El canto del ruisenor op. 29-Caprice basque op. 24-Zigeunerweisen opus 20
Julia FISCHER (violon), Milana CHERNYAVSKA (piano)
2013-DDD-68'22-Textes de présentation en français, anglais et allemand-Decca 478 5950

Les disques entièrement consacrés à Pablo de Sarasate sont rares et plus encore ceux qui rassemblent en nombre les courtes pièces qu'il a destinées au violon, réservoir dans lequel ont toujours puisé les grands solistes pour leurs bis. Au disque, c'est à peine si l'on en trouvait l'une ou l'autre perdue au détour d'un récital où la virtuosité régnait en maître. On fera donc la fête à cette nouvelle apparition de Julia Fischer qui s'en donne vraiment à coeur joie dans ce répertoire gorgé de soleil et semble prendre un immense plaisir à jouer une musique à peu près complètement ignorée des mélomanes. Virtuosité ne rime d'ailleurs pas nécessairement avec superficialité et la violoniste allemande parvient avec talent à caractériser chaque page, à lui donner une âme propre. Loin de générer l'ennui que l'on pourrait craindre dans un tel contexte, le tout s'écoute avec une délectation jamais prise en défaut. Remarquables sont l'expressivité de El canto del ruisenor (Le chant du rossignol) ou le chic des Danses espagnoles, lesquelles constituent d'ailleurs le plat de résistance du programme. Parmi celles-ci, on trouvera le célébrissime Zapateado, qu'ont magnifié tous les grands noms du violon, à commencer par l'incroyable Oistrakh. Julia Fischer se livre ici à une pyrotechnie irrésistible mais teintée d'une touche de féminité qui lui donne un je-ne-sais-quoi qui semble défier toutes les lois de la pesanteur: inouï! L'élégance de la Jota aragonesa ravira les amateurs de musique raffinée, tandis que les variations toutes plus folles les unes que les autres du Caprice basque ont tout pour décoiffer les permanentes les mieux ajustées. Le cd s'achève en grande logique avec les trop ressassés Zigeunerweisen. Mais le panache qui, toujours, évite la vulgarité, le charme omniprésent, nous les font entendre comme si nous les découvrions. L'énergie contagieuse, la beauté de sonorités finement ciselées, finissent par donner une légère ivresse à laquelle on cède de bonne grâce. Un récital qui sourit de bout en bout et fait le pied de nez à la grisaille de notre inquiétante actualité. Bien mieux et bien plus inoffensif que des anti-dépresseurs... Après un tel feu d'artifice, on se demande bien de quelle dose de mauvaise foi il faudrait disposer pour ne pas accorder à ce disque la note suprême. Joker, donc !
Bernard Postiau

Son 10 - Livret 9 - Répertoire 10 - Interprétation 10

 

Les commentaires sont clos.