La maturité existentielle et philosophique de Valentin Silvestrov

par

Valentin Silvestrov (°1937) : Symphonie pour violon et orchestre ‘Widmung’ ; Postludium pour piano et orchestre. Janusz Wawrowski, violon ; Jurgis Karnavičius, piano ; Orchestre symphonique national de Lituanie, direction Christopher Lyndon-Gee. 2022. Notice en anglais. 63’ 09’’. Naxos 8.574413.

Le 30 septembre prochain, le compositeur ukrainien Valentin Silvestrov, né à Kiev, fêtera ses 87 ans. L’événement n’aura sans doute pas lieu dans son pays natal : après l’invasion des troupes russes à la fin du mois de février 2022, Silvestrov a choisi l’exil et est parti le 8 mars suivant pour s’installer à Berlin. Nous avons présenté, le 15 septembre 2020, un programme qui lui était déjà consacré par Naxos, dont sa Symphonie n° 7 de 2002, sur la dimension spirituelle de laquelle nous mettions l’accent. Une autre facette de son art est présente dans le poignant Requiem pour Larissa de 1999 (BR Klassik), dédié à la mémoire de son épouse, décédée après une opération de routine, un album que nous avons recensé le 7 novembre 2022. Le lecteur se référera à ces deux textes pour les aspects biographiques. 

Le style de Silvestrov fait la part belle aux aspirations eschatologiques, dans une recherche d’esthétique liée au passé, à travers un langage personnel postmoderniste à portée émotionnelle et philosophique, au sein duquel des citations, des collages ou des timbres néobaroques ou néoclassiques font une large place à la beauté plastique. Après une période de jeunesse expérimentale, baignée de post-sérialisme, d’art conceptuel et de théâtre instrumental, Silvestrov a fait un basculement, à partir des années 1970, vers des formes de confidence expressive, avec des lignes mélodiques étirées, une lenteur mesurée et une tendance à la contemplation. Le présent album Naxos propose deux partitions de la maturité du compositeur, au sein desquelles la lamentation, la mélancolie, le lyrisme et le message humaniste s’érigent comme des témoignages d’amour et d’espoir.

La Symphonie pour violon et orchestre ‘Widmung’ (‘Dedication’) de 1990/91 a été composée pour Gidon Kremer, qui en a assuré la création à Berlin, le 23 novembre 1993, avec l’Orchestre de la radio locale, placé sous la direction de l’Ukrainien Roman Kofman (°1936), né lui aussi à Kiev, avec lequel Kremer l’enregistrera superbement pour le label Teldec (2007), mais cette fois avec l’Orchestre Philharmonique de Munich. Comme cela avait été le cas pour le programme qui contenait en 2020 la Symphonie n° 7, c’est le chef d’orchestre londonien Christopher Lyndon-Gee (°1954) qui signe l’abondante notice du présent album Naxos. Baignée dans une atmosphère de profondeur introspective et de mysticisme, qui confine parfois à l’hypnotisme, cette symphonie en quatre mouvements est jouée sans interruption. Lyndon-Gee en souligne l’intention, celle d’un hommage à la race humaine, à sa force vitale fondamentale et aux tragédies qui, l’une après l’autre traversent les existences. C’est aussi un message de volonté de renouveau pour l’humanité. 

La dimension philosophique est bien présente ; elles se caractérise par un violon dont le chant s’élève souvent de façon élégiaque, avec des soubresauts orchestraux qui soulignent le questionnement sous-jacent produit par le soliste, qui n’entre pas en concurrence avec les autres instruments, mais se mêle à eux comme en recherche de fraternité. On se laisse prendre par cette longue séquence émotionnelle de plus de quarante minutes, car Silvestrov est inspiré dans sa profusion kaléidoscopique de couleurs, distillées au fil d’un parcours où des réminiscences romantiques et mahlériennes sont en filigrane. Le violoniste polonais Janusz Wawrowski (°1942) s’investit totalement dans cet univers mystico-spiritualiste, qui parle au plus profond de l’âme de l’auditeur. Il joue cette fresque avec une hauteur de vues semblable à celle que Gidon Kremer y introduisait, en accentuant peut-être encore plus l’aspect intimiste d’une partition à la fois intemporelle et ancrée dans la recherche de la beauté plastique. Mené avec finesse et subtilité par Lyndon-Gee, l’orchestre lithuanien, déjà sollicité pour l’album voué à la Symphonie n° 7, joue le jeu de la transparence et de la fragilité.

On trouve encore à l’affiche le Postludium pour piano et orchestre de 1984, créé à Las Vegas l’année suivante par Virko Baley (°1938), pianiste, compositeur et chef d’orchestre ukraino-américain. Il s’agit d’une partition plus dynamique, qui débute fortissimo par des appels de trombones et de trompettes, avant de créer un climat diversifié, orchestré de façon colorée, le piano semblant jaillir d’une substance qui vient de se libérer de la phase moderniste précédente du compositeur (d’où le titre : Postludium ?). Contrairement à la Symphonie pour violon et orchestre, cette partition d’un peu moins de vingt minutes joue sur plus d’effets de contrastes, avec une cadence pianistique nuancée, où l’on perçoit déjà des moments de tristesse, une constante qui traversera ensuite tout l’œuvre de Silvestrov. Avec l’Orchestre symphonique de la Radio de Vienne, Alexei Lubimov a gravé ce Postludium sous la direction de Dennis Russell Davies (ECM, 2003). Le pianiste lituanien Jurgis Karnavičius (°1957), issu d’une famille de musiciens réputés dans son pays - il porte le même prénom que son grand-père (1884-1941), qui fut un compositeur apprécié -, souligne ici, avec autant de vérité que le Russe Lubimov, les méandres mystérieux de cette partition. Cet album est un bel hommage à la créativité engagée de Silvestrov. 

Son : 8,5    Notice : 10    Répertoire : 9    Interprétation : 9

Jean Lacroix

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.