La Musikfest parisienne : le plaisir de partager la musique entre amis
Initié par la violoniste Liya Petrova pendant le confinement, ce qui n'était au départ que de simples réunions entre amis musiciens, destinées à compenser le manque d’occasions de jouer ensemble, est devenu un rendez-vous annuel parisien incontournable de musique de chambre. Cette année marque la dernière édition à la Salle Cortot, avant d’ouvrir un « nouvel horizon » dès la saison prochaine.
Durant les restrictions de sortie liées au confinement en 2020, Liya Petrova a organisé quelques concerts retransmis en streaming en réunissant des amis musiciens. Cette première édition consacrée à Beethoven se tenait à la Salle Cortot, « sans public », comme cela se faisait souvent pendant cette période. Dès le début, le pianiste Alexandre Kantorow et le violoncelliste Aurélien Pascal formaient avec elle un noyau ; ils ont d’ailleurs créé un festival d’été à Nîmes par la suite. Depuis, quatre autres éditions se sont succédé, sous les thèmes de Brahms, Belle Époque, Pour la fin du temps et La Virtuosité. Cette année, pour la dernière fois à la Salle Cortot, c’est l’heure de faire un bilan : au lieu de fixer un thème, la directrice artistique a choisi de rejouer des pièces qui avaient été programmées dans les cinq premières éditions, à la manière d’une petite rétrospective.
Ainsi, le premier des deux concerts de la 6e édition s’ouvre, le 7 mars dernier, par Sequenza pour deux violons de Simos Papanas (né en 1979). Mû par le désir et surtout par la nécessité de pallier la distance qui empêchait de faire de la musique ensemble, le compositeur et violoniste grec écrit en 2020 ce duo pour des interprétations « à distance ». À la Salle Cortot, lui et Liya Petrova se placent dans les loges situées sur les deux côtés de la scène et jouent face à face. La pièce, fortement introspective mais s’exprimant vers l’extérieur, mêlant la virtuosité et la contemplation, est tout un symbole de cette période.
Le programme se poursuit avec le Trio op. 1 n° 1 de Beethoven et le Quatuor n° 8 op. 110 de Chostakovitch. Le trio formé par Petrova, Pascal et Kantorow démontre une cohésion musicale remarquable, témoignant d’une entente artistique particulièrement réjouissante. L’inspiration et la joie qui émanent de leur interprétation de cette œuvre juvénile révèlent, malgré sa simplicité apparente, une préfiguration des développements thématiques et musicaux auquel le compositeur ne cesse de s’atteler tout au long de sa vie. Charlotte Juillard, premier violon super soliste à l'Orchestre philharmonique de Strasbourg, Toma Bervetsky, violoniste à l’Opéra Orchestre national Montpellier, Grégoire Vecchioni, premier alto solo de l’Orchestre de l’Opéra de Paris, et Ivan Karizna, violoncelliste français originaire de Biélorussie ayant remporté le 3e prix au Concours Tchaïkovski en 2011 ainsi que le 5e prix au Concours Reine Elisabeth, offrent une interprétation poignante. Bien que la dimension sombre soit indéniablement présente dans leur jeu, il semble néanmoins qu’il ait manqué un certain élément déchirant, probablement en raison d’un silence qui ne paraissait pas suffisamment marqué à notre sens.
La deuxième partie est consacrée à la culture de Mitteleuropa, avec Brahms, Bartók, Kodály et Dvořák. Dans quelques extraits des Danses hongroises de Brahms, Théo Fouchenneret et Aurèle Marthan insèrent une touche assez prononcée de romantisme, dans un rythme alléchant. Simos Papanas, accompagné de Victor Demarquette, surprend avec les Six danses populaires roumaines de Bartók, comme on ne les a jamais entendues : les tensions, les tempos, les timbres et les accents changent constamment, insufflant à chaque mesure une nouveauté qui fait tendre l’oreille. Théo Fouchenneret revient ensuite en solo pour Les Danses de Marosszék de Kodály, entraînant l’auditoire dans un rythme effréné, à la limite de la transe.
Nous n’avons malheureusement pas eu l’opportunité d’écouter le Quatuor avec piano (troisième mouvement) annoncé dans le programme. Le festival n’a pas obtenu le droit pour jouer en public cette œuvre récemment « découverte » de Bartók. Toutefois, le Quintette avec piano n° 2 de Dvořák, interprété par le trio Petrova-Pascal-Kantorow en compagnie de Lise Berthaud et Shuichi Okada, compense largement cette absence. La musique déploie tour à tour des émotions passionnées, méditatives, pétillantes et joyeuses, révélant ainsi une diversité de facettes. L’interprétation est plus spontanée qu' élaborée, grâce à l’interaction harmonieuse de cinq musiciens chevronnés dans la musique de chambre. Les talents se confrontent amicalement, offrant trois quarts d’heure de grand bonheur.
La soirée s’est avérée agréable, marquée par l’amitié et le plaisir du partage musical, dans une atmosphère chaleureuse tant entre les musiciens que vis-à-vis du public.
Concert du 7 mars, à la Salle Cortot à Paris.
Victoria Okada
Crédit photographique © Sébastien Brod