L'âme même de la musique russe
Nicolai RIMSKY-KORSAKOV
(1844-1908)
La Légende de la ville invisible de Kitège et de la vierge Fevronia
Svetlana IGNATOVITCH (Fevronia), John DASZAK (Grichka Kutierma), Maxim AXENOV (le prince Vsevolod), Vladimir VANEEV (le prince Youri), Alexey MARKOV (Féodorv Poyarok), Mayram SOKOLOVA (le page), solistes, Choeurs du Nederlandse Opera, Nederlands Philharmonisch Orkest, dir.: Marc ALBRECHT, mise en scène : Dmitri TCHERNIAKOV, réalisation : Michel VERMEIREN
2014-2DVD-187 ''- Notice et synopsis en anglais, français et allemand-pas de livret-chanté en russe-Opus Arte OA 1089 D
Réalisation de l'admirable spectacle que j'ai eu l'honneur de voir et de chroniquer pour Crescendo en février 2012. A nouveau, je suis ému par la splendeur panthéiste du premier acte, de ces airs sublimes de Fevronia près de la cabane, au milieu de sa chère forêt, entourée des animaux/esprits de la nature. Les décors et la mise en scène de Tcherniakov participent à cet état d'émerveillement constant que l'on a pu comparer à celui de Parsifal pendant l'Enchantement du Vendredi-Saint. Changement radical avec l'acte II, brutal et vulgaire même, avec ses scènes de beuverie, l'apparition du saoulard Grichka Koutierma et l'intrusion finale de l'ennemi tatar, très violente. L'aspect tragique se teint d'éloquence poignante au III, avec l'air admirable du prince Youri devant son peuple au milieu des lits d'hôpital de Kitège-la-Grande. Les princes tatars s'entretuent. Grichka prend de plus en plus d'importance, s'interposant entre la barbarie de l'ennemi et la douceur de Fevronia. C'est au premier tableau de l'acte IV, au milieu de troncs d'arbres désolés, affrontant la pureté de l'héroïne, qu'il atteindra le sommet de son rôle : il incarne l'âme même de la Russie profonde, celle que Moussorgski dépeindra aussi, tour à tour exaltée, ivre et grotesque, puis repentie et pleurant d'abondance. Un portrait unique et inoubliable, porté au pinacle par le seul chanteur non russe de la distribution, John Daszak. Retour à l'émotion au dernier tableau : mort de Fevronia entourée des deux oiseaux mythiques (Alkonost et Sirine) et des animaux rencontrés au I. Tous les acteurs se retrouvent dans la cabane illuminée, puis dans le mystique repas de noces final. En plein bonheur spirituel, Fevronia aura une petite pensée pour le pauvre Grichka, disparu en hurlant dans le forêt. La mise en scène originale et si pertinente de Tcherniakov explique certes le sentiment d'émotion qui prend le spectateur à la gorge, mais aussi les solistes vocaux, et avant tout l'incarnation -car il s'agit d'une véritable incarnation- de Svetlana Ignatovich en Fevronia. Elle parcourt et innerve la partition entière de sa joie profonde, inaltérable : un personnage unique dans la littérature d'opéra. Les autres rôles, tous bien chantés, l'entourent en faisant ressortir sa singularité, avec une mention spéciale pour la belle basse de Vladimir Vaneev en prince Youri, et le si joli ténor de Maxim Aksenov en prince Vsevolod. Marc Albrecht, à la tête de ses forces néerlandaises, a réuni une distribution idéale, portée par la vision d'un Tcherniakov inspiré. Une version remarquable du plus bel opéra de Rimsky-Korsakov, et d'un chef-d'oeuvre de l'opéra mondial. A découvrir d'urgence.
Bruno Peeters