Le Banquet Céleste illumine La Resurrezione à Rennes : une interprétation magistrale sans chef
L’Opéra de Rennes a proposé, les 14 et 15 mars, La Résurrection de Haendel à quelques semaines de Pâques. Ces deux concerts inaugurent une tournée qui mène les musiciens du Banquet céleste à Tourcoing, Beaune, Saint-Malo et La Chaise-Dieu jusqu’en été. Véritable fruit de la collégialité, ils jouent sans chef.
Composée pour des représentations pascales alors que le pape interdisait celles d’opéra à Rome, La Résurrection, le premier oratorio sacré que Georg Friedrich Haendel ait jamais composé, est en fin de compte un opéra déguisé en oratorio. L’affirmation de l’humanité dans l’expression le prouve : le sentiment presque amoureux de Marie-Madeleine pour Jésus, le désir de domination chez Lucifer et son altercation verbale avec l’Ange, la prémonition de Saint Jean... Tout tend à évoquer un opéra plutôt qu’une œuvre destinée à l’église.
Sur la scène de l’Opéra de Rennes, les cinq chanteurs solistes ont assumé leurs rôles avec une caractérisation extraordinaire. En tout premier lieu, le Lucifer de Thomas Dolié est un véritable tour de force : impeccable dans les phrasés, avec des intonations toujours bien menées et une théâtralité irrésistible mais sans aucun superflu. La basse dense et profonde correspond particulièrement bien à l’expression ténébreuse, quelques grimaces renforçant la construction du rôle.
Céline Scheen trouve en Marie-Madeleine une femme amoureuse, à la fois tourmentée et sereine. L’intensité de son timbre et la vigueur de la projection reflètent merveilleusement le for intérieur du personnage. Paul-Antoine Bénos-Djian forme un duo idéal avec Céline Scheen, affichant la même force vocale et musicale. Le timbre légèrement ambré de sa voix confère à Marie, femme de Cléophas (Cleofe dans le programme), une touche émouvante, notamment dans « Piangere » à la mort de Jésus, qu’il chante en tremblant.
L’Ange proposé par Nardus Williams est beaucoup plus terre à terre que céleste, ce qui convient à sa fermeté face à Lucifer. Elle transforme ses aigus parfois tirés en une sorte d’envol aérien et les intègre habilement dans un phrasé élégamment dessiné, attirant l’admiration. Thomas Hobbs, quant à lui, montre un chant juste, mais, une fois n’est pas coutume, manque de matière et de force de caractère. S’il gagne en souplesse dans la deuxième partie (notamment dans « Caro figlio »), il ne semble pas avoir trouvé, ce jour-là, une véritable inspiration pour Saint Jean.
Pour cette production, l’orchestre est constitué de 26 musiciens qui jouent donc en parfaite collégialité. Après le départ de son fondateur, le contre-ténor Damien Guillon, Le Banquet Céleste poursuit son chemin en tant que collectif d’une quinzaine de musiciens qui forment le noyau de « l’ensemble à géométrie variable » selon l’expression consacrée. C’est leur première expérience sans chef ; certains musiciens référents effectuent le travail de fond sur l’intégralité de la partition, puis, au moment des répétitions, les autres musiciens interviennent dans la discussion sur l’interprétation. Basés sur la confiance envers la musicalité de chacune et de chacun, ils trouvent un point d’accord pour forger une interprétation la mieux adaptée à leur vision, tout en respectant la partition. C’est ainsi que la viole de gambe ne fait pas partie du continuo, sa partie étant d’ailleurs très écrite.
Le résultat est tout simplement étonnant. L’écoute mutuelle fait son travail : l’articulation est naturelle, l’intonation est soignée, le tout dans une attention mutuelle permanente. Si Haendel et Arcangelo Corelli, qui dirigeait du violon la création de La Resurrezione au palais Bonelli à Rome le dimanche de Pâques 1708 — même si l’orchestre comptait alors une quarantaine de musiciens — avaient assisté à cette représentation, ils auraient certainement été impressionnés !
Sous des applaudissements nourris agrémentés de nombreux « bravo ! », le chœur final est repris en bis, prolongeant un moment de grâce.
Concert du 14 mars 2025, à l’Opéra de Rennes
Victoria Okada
Crédits photographiques : Victoria Okada