Le Chostakovitch de Jonathan Nott
Selon la volonté de Jonathan Nott, son directeur artistique, la saison 2019-2020 de l’Orchestre de la Suisse Romande est placée sous l’égide de deux figures de proue du XXe siècle, Benjamin Britten et Dimitri Chostakovitch.
C’est pourquoi le premier concert du 25 septembre a débuté par les Four Sea Interludes op.33a extraits de Peter Grimes, le premier chef-d’œuvre lyrique du musicien britannique. Dawn est évoqué par les longues phrases des violons recherchant un véritable unisson, tandis que les bois accélèrent les zébrures de l’aube, avant de se parer de nervures astringentes afin de dépeindre un Sunday Morning dont les cuivres imitent les carillons. Moonlight tient ici du thrène pesant tandis que, ponctuée par une percussion martelant la basse, déferle la houle de Storm au travers de laquelle affleurera une ultime supplique des violons en quête de rédemption salvatrice.
Le reste du programme est ensuite consacré à Dimitri Chostakovitch et à l’une de ses œuvres d’après-guerre, le Premier Concerto pour violon et orchestre en la mineur op.99, achevé en janvier 1948 et écrit sur mesure pour David Oistrakh qui devra attendre la mort de Staline pour en assurer la création mondiale à Leningrad le 29 octobre 1955 puis la première américaine. Ici en est le soliste le violoniste arménien Sergey Khachatryan qui imprègne le Nocturne initial d’un lyrisme suave, expression d’un désarroi qui l’isole dans son monde intérieur que tissent les sons harmoniques presque irréels ; et ce ne sont que quelques notes arpégées de harpe qui le tireront de sa rêverie. Quel virulent contraste occasionne ensuite le Scherzo où le violon exhibe une virtuosité ébouriffante sur les contretemps de la clarinette aboutissant à un bastringue débridé. Sur un motif de choral des cuivres s’appuyant sur les cordes graves, prend forme la Passacaglia dont le solo plaintif livre le contre-chant pathétique s’irisant en points de suspension ; et la Cadenza joue sur le pianissimo éthéré des doubles cordes que lacéreront de vigoureux coups d’archet afin de propulser une Burlesca aux accents sauvages. Face à tant de perfection technique alliée à une sonorité magnifique, le violoniste est ovationné par un public en délire auquel, avec une extrême modestie, il offre une mélodie de son pays natal à vous tirer les larmes !
Et le concert s’achève par la Cinquième Symphonie en ré mineur op.47 créée par Yevgheny Mravinsky et la Philharmonie de Leningrad le 21 novembre 1937. La baguette de Jonathan Nott souligne la véhémence du tutti initial afin de laisser affleurer le cantabile douloureux des premiers violons dans un rubato qui prend le temps de développer chaque phrase, quitte à occasionner une brève pause ; d’un virulent stringendo des cordes émergera une fanfare de cuivres volontairement cynique qui finira par s’éloigner pour laisser la place à un solo du premier violon dans l’aigu sur quelques notes de célesta. Le Scherzo respire une insouciance légèrement grotesque que pimentent bois et cuivres, alors que le pizzicato des cordes insinue un brin d’étrangeté. Le Largo revêt une tristesse méditative que tentent d’édulcorer la flûte et la harpe, avant un tutti exalté dont le hautbois et la clarinette dégagent la dimension déchirante débouchant sur une coda mystérieuse. Le Finale est tonitruant, voire même sinistre, pour une apothéose qui pourrait bien être un pied de nez à l’esthétique conventionnelle imposée par le régime. Une fois passé le dernier accord, l’on a l’impression d’avoir découvert finalement la terre d’élection de Jonathan Nott !
Paul-André Demierre
Crédit photographique : Pierre Abensur